#Roman francophone

La grande nageuse

Olivier Frébourg

Originaires de Bretagne, Marion et le narrateur se connaissent depuis l'enfance. Marion a aussi des ascendances vietnamiennes et un corps à la beauté indolente. Tous les deux ont la même passion pour l'océan. Lui est marin, elle une nageuse silencieuse qui goûte un plaisir sensuel à avaler les kilomètres. Ils fondent une famille. Mais le narrateur aspire à d'autres horizons : il nourrit une passion de plus en plus vive pour la peinture. De son côté, Marion passe de plus en plus de temps au fond de l'eau. La mer réunit ou sépare-t-elle ceux qui s'aiment ?

Par Olivier Frébourg
Chez Mercure de France

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Genre

Littérature française

 

 

 

 

Le paysage est dans la femme et la femme dans le paysage.

WILLEM DE KOONING

 

Si Dieu était absent du monde, il ne serait pas non plus en vous.

PLOTIN

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

 

À cet âge, elle, la Bretonne au sang vietnamien, ressemblait à une Iroquoise.

Je revois son visage géométrique sur le court de tennis du Bois d’Amour. Les pins maritimes, le parfum des résineux, la pointe du Conguel, la chapelle Saint-Clément. Avait-elle dix ans ?

Nous vivions sur la presqu’île et suivions les cours de tennis donnés par la municipalité. Elle prenait des leçons particulières avec notre professeur d’origine argentine. Elle ne nous concédait aucun regard mais ne nous intéressait pas. Sa mère concentrait notre dévoration : la belle Gaëlle, une grande blonde, aux cheveux coupés à la garçonne dont la mèche en dégradé recouvrait le front jusqu’au-dessus des sourcils. Jamais nous n’avions vu des jambes aussi longues et lisses que deux mâts de goélette.

La belle Gaëlle était une curiosité sur la presqu’île. Elle roulait dans une Volkswagen Coccinelle cabriolet. Son père, un Breton, avait épousé une Vietnamienne qu’il avait installée dans le golfe du Morbihan. De ce mariage était née une fille unique, la belle Gaëlle, qui dépassait d’une tête toutes les autres filles et dont personne, pas même les Parisiennes en villégiature, n’aurait songé à disputer la beauté.

Une blondeur d’un roux de flamme sous le soleil, des yeux bleus, bridés, des pommettes hautes et une peau couleur résine, cette même résine que nous respirions au Bois d’Amour et que nous faisions couler avec nos canifs en écorchant le tronc des arbres.

À côté, sa fille nous semblait un fruit noir. Tantôt Marion venait au tennis avec sa raquette sur son porte-bagages, tantôt sa mère l’accompagnait dans sa décapotable. La belle Gaëlle nous affolait quand elle allait saluer notre professeur, Sebastian, que nous surnommions Guillermo en hommage à Vilas, champion et poète dont nous admirions l’élégance du frappé. La percussion caoutchouteuse de la balle, amortie ou violente, fouettée ou enrobée, figurait à nos yeux une copulation furieuse. Après la leçon, nous nous retrouvions entre copains à la pointe du Conguel où nous fumions des gauloises bleues et faisions des concours d’éjaculation face à Belle-Île.

Gaëlle avait fini par se confondre avec notre presqu’île. Elle se détachait, inaccessible, et nous, naufragés à bord de notre chaloupe, nous criions à tous les vents, désespérés de ne pouvoir atteindre cette plage absolue.

L’été, nous suivions des cours de voile au Fort Neuf, à Port-Haliguen. Nous étions déjà sur Vaurien quand Marion commença l’initiation à l’Optimist. Sa mère passait l’après-midi sur la plage, souvent entourée de trois autres petits enfants, les sœurs et le frère de Marion. Je me souviens de son short beige qui la faisait ressembler à une aventurière dans la brousse africaine.

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05/05/2014 153 pages 15,50 €
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