#Roman francophone

Journal / Charles Juliet Tome 4 : Accueils 1982-1988

Charles Juliet

La recherche de soi est un long chemin. Au début, il n'est d'ailleurs pas de chemin. Seule règne une profonde ténèbre. Une ténèbre faite d'interrogations, de doutes, de fatigue, de haine de soi, de difficulté à vivre... Mais un travail d'élucidation et de clarification parvient à le repousser, à y faire naître une faible lueur. Alors des entraves commencent à tomber, des obstacles à disparaître, et un chemin finit par s'ouvrir. Il permettra à celui qui l'empruntera de se connaître et de vivre en bonne intelligence avec lui-même, les autres et le monde. Au long des trois premiers volumes de son Journal, Charles Juliet a relaté son cheminement. Dans ce quatrième tome, il poursuit sa quête. Mais la sérénité lui est venue, et ces notes où alternent instants de vie, rencontres, plongées intérieures, marquent un indéniable accomplissement.

Par Charles Juliet
Chez P.O.L

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Editeur

P.O.L

Genre

Littérature française (poches)

 

 

 

 

 

 

 

1982

 

 

 

 

 

4 janvier

 

Il y a quelques jours, très exactement le 28 décembre, en fin d’après‐midi, Catherine m’a appris au téléphone le décès de Bram Van Velde. L’été dernier j’avais senti qu’il s’éloignait, qu’il appartenait de moins en moins au monde des vivants, mais il n’empêche que ma peine est profonde. Je le connaissais depuis 1966, et notre amitié avait grandi au long des années.

Je repense à notre première rencontre. J’étais monté à Paris et n’avais rien à y faire. J’étais venu là simplement pour humer l’air de la capitale, me promener dans une ville où avaient vécu et vivaient des écrivains que j’admirais, mais désargenté, ne sachant où aller, je déambulais au hasard des rues, écrasé d’ennui, aux prises avec une exaltation vide qui me maintenait dans l’attente de je ne savais quoi.

Tout en marchant, je feuilletais un petit carnet, et j’ai trouvé là le nom et l’adresse de Bram. Descombin me les avait communiqués quelques mois plus tôt. Je me souvenais qu’il m’avait dit avoir rencontré ce peintre, et qu’il avait été impressionné tant par l’homme que par ce qu’il avait dit. Sur-le-champ, j’ai décidé de lui rendre visite.

J’ai demandé à des passants où était située la rue où il habitait, et comme j’en étais proche, je m’y suis rendu, j’ai trouvé la maison, grimpé des escaliers et j’ai sonné. Encore maintenant, quand je songe à tout cela, je suis empli de confusion. Car il m’a fallu une belle inconscience pour aller me présenter chez un peintre dont je ne savais rien et dont l’œuvre m’était rigoureusement inconnue. D’ailleurs, à cette époque, je n’étais pas sensible au langage de la peinture, et si l’occasion m’avait été donnée de voir certaines de ses toiles, elles n’eussent pour moi rien signifié.

Il était onze heures du matin. Une femme a ouvert la porte. Elle m’a appris que Bram devait accompagner ses amis à l’aéroport où ils conduisaient quelqu’un, mais que le même jour, à cinq heures, il pourrait me recevoir.

À l’heure convenue, j’ai sonné à nouveau. L’homme que je venais voir fut soudain devant moi. Environ soixante-dix ans, grand, traits fins, yeux bleus, cheveux blancs, front très dégagé, un air de grande distinction. Ce jour-là, j’ai eu d’ailleurs beaucoup de chance. Résidant près de Genève, il n’était à Paris que pour peu de temps, et je suppose que si je ne l’avais pas trouvé, je n’aurais pas renouvelé ma tentative. Car dans la mesure où aucune intention précise ne me poussait vers lui, il est quasi certain que l’impulsion qui m’avait porté à vouloir le rencontrer n’aurait pas persisté.

Assis face à lui, je ne trouvais aucune question à lui poser. Il ne parlait pas et j’étais singulièrement intimidé. Je me maudissais d’avoir cédé à mon impulsion et dérangé un homme à qui je n’avais rien à dire. Que pouvait-il penser de cet hurluberlu qui lui rendait visite et demeurait muet ? Au fur et à mesure que les minutes s’écoulaient, j’étais gagné par la panique. Je voulais prendre la porte, mais ne savais comment lui présenter la chose. Et le silence durait. Et ma débâcle empirait.

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01/12/2011 372 pages 12,15 €
Scannez le code barre 9782818006443
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