#Essais

De la raison d'Etat (1589-1598)

Giovanni Botero

De la raison d'Etat, dont l'édition princeps date de 1589, compte parmi les livres qui ont le plus profondément marqué la modernité politique à ses commencements. Non seulement il a consacré la notion de raison d'Etat, mais il a également apporté une contribution décisive à la première affirmation européenne de l'idée d'"Etat". Giovanni Botero (1544-1617), ancien jésuite, secrétaire de grands princes d'Eglise et consulteur de la congrégation de l'Index, y poursuit comme objectif de codifier la rationalité gouvernementale de cette nouvelle entité politique. L'"Etat" dit désormais la puissance publique entendue comme seigneurerie sur les hommes et domination sur les territoires, dans une direction qui intègre la leçon machiavélique - bien que l'auteur s'en défende et rompt avec la tradition éthico-juridique qui avait procuré à la politique son langage. A l'heure des guerres de Religion mais à l'écart des théorisations juridico-politiques de l'époque, la ratio de Botero définit avant tout les savoirs permettant de conserver cette seigneurerie et domination, sous trois aspects essentiels : le gouvernement des hommes, la gestion des richesses, l'administration des territoires. Identification du politique à l'étatique et institution des savoirs du monde social nécessaires à l'Etat territorial : tels sont les deux traits dont la conjonction fait la modernité de l'ouvrage. Cette traduction (la première en français depuis 1599) a aussi été l'occasion d'un travail d'édition scientifique sans précédent (y compris en Italie) à partir des quatre versions revues et corrigées par l'auteur. Elle remet dans la circulation intellectuelle un "classique inconnu", toujours cité, mais rarement lu.

Par Giovanni Botero
Chez Editions Gallimard

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Genre

Philosophie



 

 

 

LIVRE PREMIER

 

 

 

[1] CE QU’EST LA RAISON D’ÉTAT

 

 

(c) L’État est une seigneurie solide sur les peuples1 et (a) la raison d’État est la connaissance des moyens propres à fonder, conserver et accroître une (c) telle (a) seigneurie. Il est vrai que, si l’on parle dans l’absolu, cette connaissance couvre les trois subdivisions susdites, mais elle semble, toutefois, embrasser de plus près la conservation que les autres, et, parmi ces autres, plus l’accroissement que la fondation. (c) En effet2, (a) la raison d’État suppose le prince et l’État (c) (celui-là comme une sorte d’artisan, celui-ci comme matière), (a) que la fondation ne suppose aucunement, mais précède3, et que l’accroissement ne suppose qu’en partie. Mais l’art de fonder et d’accroître est le même, (b) parce que les principes et les moyens sont de même nature4. (c) Et bien que l’on dise que tout ce qui se fait aux fins susdites est fait par raison d’État, néanmoins on le dit davantage des choses qui ne se peuvent réduire à la raison ordinaire et commune5.

 

 

[2] DIVISION DES SEIGNEURIES

 

(a) Les seigneuries sont de plusieurs sortes : anciennes, nouvelles, pauvres, riches, et d’autres qualités semblables, mais pour en venir davantage à notre propos, disons que parmi les seigneuries, certaines comportent une supériorité, d’autres non, certaines sont naturelles, d’autres sont acquises. J’appelle naturelles celles dont on dispose par la volonté des sujets, qu’elle soit exprimée, comme cela advient dans l’élection (c) des rois6, (a) ou tacite, comme cela arrive dans les successions légitimes à la tête de l’État, et le droit de succession peut être manifeste ou incertain7. J’appelle seigneuries acquises celles que l’on a obtenues à prix d’argent ou par tout autre moyen équivalent, ou que l’on a acquises par les armes ; et, par les armes, soit de vive force, soit à la suite d’un accord ; et soit l’accord se fait à la discrétion du vainqueur, soit il est négocié et (b) leur qualité est d’autant moindre que leur acquisition a rencontré plus de résistance. (a) En outre, certaines de ces seigneuries sont petites, d’autres grandes, d’autres moyennes, et ce non pas dans l’absolu, mais relativement, et par comparaison avec les seigneuries limitrophes. La petite seigneurie est en effet celle qui ne peut se maintenir par elle-même, mais a besoin de la protection et de l’appui d’autrui, comme la république de Raguse, ou celle de Lucques. La moyenne est celle qui a assez de forces et d’autorité pour se maintenir sans avoir besoin du secours d’autrui, comme la seigneurie des gentilshommes vénitiens, le royaume de Bohême, le duché de Milan et le comté de Flandre. J’appelle grands, enfin, ces États qui ont un avantage notable sur leurs voisins, comme l’empire du Turc ou du Roi Catholique. En outre, certaines seigneuries sont unies, d’autres sont dispersées : j’appelle unies celles dont les parties sont en contact et en continuité les unes avec les autres, et dispersées celles dont les parties ne sont pas en contact et d’un seul tenant, comme l’empire des Génois quand ils étaient les maîtres de Famagouste8, de Ptolémaïs9, de Faglie Vecchie10, de Pera11 et de Caffa12, celui des Portugais, à cause des États qu’ils possèdent en Éthiopie, en Arabie, en Inde, au Brésil, et celui du Roi Catholique.

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13/03/2014 423 pages 32,00 €
Scannez le code barre 9782070135844
9782070135844
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