COMPOSTELLE I
La puerta se abre a todos,
enfermos y sanos,
no sólo a católicos,
sino aun a paganos, a judíos, herejes,
ociosos y vanos ;
y más brevemente, a buenos y profanos.
Poema del siglo XIII
La porte est ouverte à tous,
aux malades et aux bien-portants,
pas seulement aux catholiques,
mais aussi aux païens, aux juifs, aux hérétiques,
aux oisifs et aux vains ;
en bref, aux gens de bien comme aux profanes.
Poème anonyme du XIIIe siècle
Bécassine chez les pèlerins
Le 14 juillet 2003, ma cousine Cricri et moi-même étions dans le très typique village de Saint-Jean-Pied-de-Port, au Pays basque, attablées devant une nappe à carreaux rouges et blancs typique, en train d’avaler du fromage et du jambon typiques avec un coup de rouge typique aussi, en fin d’après-midi, sous la menace d’un orage de montagne, bien noir mais presque tiède.
J’étais au pied du mur.
D’un grand mur appelé : Pyrénées.
Cricri connaissait très bien le chemin de Compostelle ; elle avait fait beaucoup de reportages dessus.
Moi, je ne connaissais même pas l’itinéraire. Je fumais trois paquets de cigarettes par jour depuis vingt-cinq ans, et, selon l’expression de Florence, j’entrais dans les restaurants avec ma voiture.
Je n’avais rien préparé. Aucun entraînement. Ni sportif ni géographique. Aucune inquiétude non plus : le chemin était fléché et il y avait plein de monde. Je n’aurais qu’à suivre les autres. À mon rythme. Ce n’était pas bien compliqué. Fatigant, peut-être ; dur, mais pas difficile.
Cricri m’offrit un couteau ; je lui rendis une pièce de monnaie (pour ne pas couper l’amitié), et elle partit.
J’achetai un bâton ferré — appelé un bourdon. Il fallait qu’il soit léger, m’avait-elle dit. Celui-ci était léger, clair, droit, avec une courroie de cuir. En haut, un edelweiss pyrogravé couronné de l’inscription « Pays basque » faisait plus touriste que pèlerin, pas très professionnel.
Mais le vendeur m’assura que ça irait.
PREMIER JOUR
Tout de suite, ça grimpe. Il est plus tôt que tôt, l’air est chaud et humide comme à Bombay pendant la mousson, et ça monte. Sur une route asphaltée, pour voitures automobiles, dure sous les pieds ! Grise et moche. On peut juste espérer que la campagne est belle. Dès qu’on sera dégagés du gros nuage qui nous enveloppe, on verra. Pour le moment, bain de vapeur.
J’ai suivi les autres, comme prévu. Je me suis levée en pleine nuit, pour faire mon sac à tâtons au dortoir. On sonne le réveil à six heures dans les refuges, mais tout le monde se lève avant l’aube. Pourquoi ? Mystère. D’ores et déjà je sais une chose : dans le noir, j’ai perdu mes sandales en caoutchouc, genre surf des mers, pour mettre le soir.
Je sais aussi une autre chose : je ne ferai pas demi-tour pour les récupérer !
*
Je marche derrière un jeune couple de fiancés catholiques. Des vrais. Au-delà de l’imaginable. Courts sur pattes musclées sous les shorts en coton. Très scouts des années cinquante. Ils sont venus à pied de Bordeaux. Il doit y avoir une réserve là-bas. Gentils, polis, souriants : je hais les catholiques, surtout le matin. Ils me vouvoient et ne savent pas encore quand ils vont se marier. Pour le moment, la situation leur convient : un long voyage de non-noces dans des lits superposés !
Extraits
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