Tokhum
Lentement, le chasseur banda son arc. Le grand loup noir ne l’avait pas entendu approcher ; assis, il contemplait son propre royaume. Le vent soufflait sur son pelage et sa truffe ne cessait de remuer, bien que paisible, il avait l’air anxieux.
L’idée de lui ôter la vie lui noua l’estomac, Tokhum n’aimait pas tuer un chasseur et encore moins un loup mais l’hiver avait fait fuir les rennes et le trappeur voulait sa fourrure. C’était un mâle adulte, il appartenait certainement à une meute, au vu de sa corpulence, il en était sans doute le chef et peut-être même, père de plusieurs louveteaux. Le cœur de l’homme se serra dans sa poitrine ; lui qui rêvait d’être père, il s’apprêtait à faire des orphelins.
Soudain, le loup se leva brusquement, les oreilles pointées vers l’avant. Sa fourrure se hérissa ; d’un bond rapide, il allait s’enfoncer dans les taillis lorsqu’il marqua un temps d’arrêt pour fixer l’homme qui pointait une flèche sur son cœur. Tokhum était démasqué, cela ne lui était jamais arrivé. Pourtant, il ne vit aucune crainte ni surprise dans les yeux du loup, au contraire, il y décelait bel et bien de la bienveillance, tel un sourire donné à un ami. Le chasseur se surprit à sourire alors qu’il se sentait envahi par la honte. Comment avait-il pu vouloir le tuer ?
En l’espace d’un battement de paupière, l’animal avait disparu. En rangeant sa flèche dans son carquois, il eut la certitude de plus en plus forte que le loup avait senti sa présence depuis le début, comme s’il avait volontairement laissé le chasseur l’approcher, comme s’il l’avait attendu. Étrange…
Alors qu’il s’apprêtait à repartir vers le clan, un bruit sourd retentit derrière lui. D’un geste sûr et rapide, il banda son arc tout en pivotant sur ses pieds. Immobile, tels les battements de son propre cœur, Tokhum repéra vite une énorme branche de sapin qui se balançait de haut en bas. Elle venait simplement de céder sous le poids de la neige accumulée jusque-là. Un rire s’échappa de ses lèvres, il avait beau être le meilleur trappeur de toute la forêt, il n’en restait pas moins un homme qui venait de se faire une belle frayeur. Ses bottes en peau de castor laissaient de grosses empreintes distinctes dans la neige, telles des gouttes d’eau tombées sur du sable. Comme celles de tous les habitants de la forêt, ses traces paraissaient remplir une page blanche de l’histoire du monde.
Tokhum en avait eu assez pour la journée ; insister ne donnerait rien, les animaux l’avaient entendu et ses chances de passer inaperçu étaient maintenant nulles. La perdrix et le jeune lièvre, pendus à sa ceinture, raides tels des morceaux de bois, rebondissaient sur sa cuisse à chacun de ses pas. À peine avaient-ils perdu la vie que le gel les avait embrassés de son baiser glacé. Tokhum était pressé de retrouver la chaleur de son foyer, le froid lui rongeait les os telle une sangsue le vidant de son sang. Le chasseur ne sentait plus ses doigts alors que ses orteils paraissaient collés les uns aux autres.
Extraits
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