1.
Le repaire de la marâtre
Il était minuit cinq. À la fenêtre d’un vieux manoir, au sommet de la plus haute colline de Cyprès-les-Bains, un garçon scrutait les environs. L’édifice avait curieuse allure : des plantes envahissaient le perron, d’épaisses lianes s’enroulaient autour des colonnes tandis que des fougères et des asclépias rouge sang se disputaient les rayons de la lune. Du toit jaillissait une tourelle octogonale et l’ensemble était peint d’un affreux violet. Il fallait être un peu bizarre pour habiter un tel endroit ! Pourtant, le garçon à sa fenêtre paraissait on ne peut plus normal. Blond comme les blés, il n’avait ni tatouage, ni balafre, ni verrue dégoûtante. Mais une profonde détresse marquait ses traits. Quelque chose clochait.
Charlie Laird, douze ans, avait toujours habité à Cyprès-les-Bains. Avec Jack, son petit frère, il avait grandi dans une maison juste au bout de la rue ; il l’apercevait aujourd’hui de la fenêtre de sa chambre. Elle appartenait désormais à une autre famille, un couple avec deux enfants. Chaque soir, quand la lumière s’y éteignait, Charlie imaginait les parents en train de border leurs petits. Ils devaient se blottir sous la couette, à l’abri… Charlie aurait donné cher pour être à leur place. Depuis trois mois qu’il avait emménagé avec son père et Jack au manoir BelCanto, il n’avait pas connu une seule bonne nuit de sommeil.
Reculant d’un pas, Charlie surprit son reflet dans la vitre. Il avait le teint couleur de lait caillé et des cernes noirs sous ses yeux rougis. Avec un soupir, il se détourna de ce triste spectacle pour s’atteler à sa corvée nocturne. Au milieu de la pièce trônaient les trente-huit cartons qui renfermaient ses jeux vidéo, ses bandes dessinées et ses trophées de baseball. Le garçon n’avait déballé que quelques vêtements ; le reste, il n’y avait pas touché. Tous les soirs, avant de se mettre au lit, il déplaçait les cartons. Dix-neuf d’entre eux servaient à bloquer la porte du couloir et les dix-neuf autres, celle des toilettes (ce qui lui valait d’ailleurs parfois de sérieux désagréments).
Cela pouvait paraître ridicule : même Charlie savait que ces barricades n’arrêteraient pas ses cauchemars. Mais la sorcière qui lui rendait visite nuit après nuit depuis maintenant trois mois ne ressemblait pas à un cauchemar ordinaire. En général, les mauvais rêves s’estompaient au cours de la journée. Tandis que cette sorcière continuait de l’obséder. Elle était bien réelle, Charlie en aurait mis sa main à couper. Alors, quand, une nuit, elle l’avait menacé de revenir bientôt pour le kidnapper, il l’avait prise au sérieux. Il ne restait plus qu’à espérer que ses piles de cartons l’empêcheraient d’entrer.
Elle était déjà parvenue jusqu’au palier. La première fois que Charlie avait entendu des bruits suspects dans le manoir, il émergeait à peine d’un cauchemar. Le soleil perçait derrière les montagnes ; tout était calme quand, soudain, un grincement avait déchiré le silence. Les lattes du plancher s’étaient mises à craquer et un pas lourd avait résonné dans l’escalier. Celui d’un adulte. Rassemblant son courage, Charlie était sorti sur le palier, mais il n’avait rien vu. Son père et sa belle-mère étaient encore couchés. Cependant, quelques nuits plus tard, tout avait recommencé : le grincement, le craquement, les pas. Son père soutenait que ce genre de bruits était normal dans les vieilles demeures. Son petit frère, lui, pensait que le manoir était hanté. Mais les fantômes n’existaient pas. Charlie les traquait depuis trois ans : s’ils avaient existé, depuis le temps, il les aurait déjà trouvés. Non, le problème de Charlie était bien plus inquiétant qu’un simple fantôme.
Extraits
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