Le Plan Sobriété du gouvernement, présenté au début du mois d'octobre, ne concerne que de loin les bibliothèques territoriales, placées sous la responsabilité des collectivités. Heureusement pour la planète, la réflexion écologique des bibliothécaires est en cours depuis quelques années désormais, et les idées fusent, même si les moyens d'action restent encore limités.
Le 21/10/2022 à 11:16 par Antoine Oury
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21/10/2022 à 11:16
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Le 6 octobre dernier, le gouvernement d'Élisabeth Borne présentait un Plan Sobriété destiné à limiter l'empreinte écologique de l'État, mais aussi à réduire la facture, alors que la guerre en Ukraine a fait monter les coûts de l'énergie.
Une préoccupation quelque peu opportuniste pour l'environnement, et de nombreuses mesures frappés au coin du bon sens dans un plan pas vraiment disruptif. Limitation du chauffage à 19 °C et de la climatisation à 26 °C, généralisation des systèmes d’automatisation et de contrôle des bâtiments ou encore usage responsable des outils numériques ont été mis en avant.
À la Bibliothèque nationale de France et à la Bibliothèque publique d'information, deux établissements publics dépendant du ministère de la Culture, les mesures appliquées seront sensiblement similaires. « La politique énergétique de la Bpi est gérée par le Centre Pompidou, qui pilote le plan de sobriété demandé par le ministère de la Culture pour l’ensemble du bâtiment en concertation avec la Bpi », nous explique Christine Carrier, directrice générale de l'établissement.
Les deux mesures en cours, au sein de la Bpi, portent sur l'allumage et l'extinction des éclairages au plus près des besoins, pour éviter le gaspillage, ainsi qu'un remplacement progressif des néons par des LEDs, moins énergivores. « Nous prévoyons d'accompagner les agents afin d'appliquer les bonnes pratiques et les bons comportements dans l'usage des outils informatiques et dans l'utilisation des espaces au quotidien », ajoute la directrice générale.
Concernant le chauffage, des questions se posent pour les deux établissements, en raison du caractère patrimonial de leurs collections. À la Bpi, le chauffage est « commun et uniforme à l'ensemble du bâtiment » : la baisse de température à 19 °C fait donc l'objet d'une étude préalable, en regard des œuvres conservées par le Musée du Centre Pompidou. À la BnF, la même question se pose bien sûr pour les magasins, déjà à 18 °C, mais où tout changement de température est complexe, en raison d'une hygrométrie strictement contrôlée.
Le Centre Pompidou (illustration, Sean X Liu, CC BY-SA 2.0)
Au-delà de ces ajustements, des économies énergétiques de plus grande ampleur seraient réalisées après d'importants travaux. À la Bpi, « ils seront réalisés pendant la fermeture du Centre Pompidou pour les travaux de son schéma directeur prévus après les JO de 2024 », nous précise Christine Carrier. « [L]e changement de l’ensemble des vitrages du bâtiment permettra de baisser massivement et durablement la consommation énergétique. »
Du côté de la BnF, le site Richelieu tout juste rénové bénéficie d'une conception et de matériaux récents - le syndicat CGT a toutefois signalé des anomalies, comme des simples vitrages, des chauffages électriques d'appoint ou des éclairages « impossibles à éteindre ».
Le site Tolbiac, lui, est une véritable « passoire thermique », comme l'a encore admis la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, devant la Commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, le mercredi 19 octobre. Le changement des systèmes de chauffage coûterait entre 2 à 3 millions par étage — l'ensemble du site compte 4 tours de 22 étages — et un remplacement des vitrages ne serait pas non plus superflu. Si la ministre n'a pas encore avancé de projet de travaux, ces derniers semblent inévitables. Pour l'instant, l'établissement travaille « sur des projets d'investissement visant au changement de ses sources lumineuses anciennes par des LED », nous indique-t-on.
Les services de la BnF indiquent cependant que « la consommation énergétique sur le site François-Mitterrand a été diminuée depuis 2006 de plus de 20 % ». Le Plan sobriété du gouvernement apportera quelques mesures supplémentaires, dont le changement des points de consigne du chauffage de 2°C, la diminution des plages d'horaires d'éclairage, l'arrêt de la distribution d'eau chaude dans les sanitaires, l'optimisation du pilotage des centrales de traitement d'air, et l'extinction centralisée anticipée des postes informatiques. La baisse de consommation prévue par rapport à 2019 devrait atteindre 7 %.
Concernant les bibliothèques territoriales, les possibilités d'intervention de l'État sont limitées : si des aides financières sont promises aux collectivités — un fonds vert de 1,5 milliard € en 2023 —, ces dernières ont la main sur la gestion des établissements de lecture publique. De fait, l'État s'est contenté de rappeler le cadre fixé par le Code de l'Énergie, pour le chauffage et la climatisation, et de suggérer des changements de comportements. Les métiers eux-mêmes ne sont pas vraiment impliqués dans ce Plan Sobriété.
Heureusement, la réflexion professionnelle pour une réduction de l'empreinte écologique des bibliothèques s'est considérablement développée ces dernières années. Si le souci environnemental est désormais pris en compte dans le bâti, il se trouve parfois intégré à toute la politique de l'établissement. La Médiathèque Canopée La Fontaine, à Paris, a même été distinguée à l'international pour sa réflexion en la matière.
L'Association des Bibliothécaires de France, organisation professionnelle, s'est dotée il y a quelques mois d'une commission dédiée sur la question, Bibliothèques vertes. Cette dernière se donne pour mission de poursuivre les réflexions et d'accompagner les bibliothécaires dans l'adoption de démarches vertueuses au sein des établissements. « Les bibliothèques sont des structures au carrefour d’une pluralité d’enjeux se rejouant dans les objectifs de préservation de la planète », soulignait l'équipe derrière cette commission dans un entretien accordé à ActuaLitté.
Outre le bâti lui-même, au sein des établissements, la gestion vertueuse des collections est évidemment au centre de l'attention, « par exemple, dans les phases d’acquisitions, d’équipement et consolidation le cas échéant des documents, ou encore par l’attention croissante portée aux sorties de collections et à l’usage qui pourra être fait des documents une fois qu’ils ne sont plus dans les rayonnages des bibliothèques, mais, par exemple, donnés à des associations », détaille la commission Bibliothèques vertes.
En plus de la documentation et des services totalement tournés vers la biodiversité, comme les grainothèques et bouturothèques, l'action culturelle et la formation du public peuvent aussi s'emparer des questions liées à la biodiversité. À l'échelle de la mobilité urbaine, les bibliothécaires peuvent sensibiliser leurs usagers au recours à des modes de déplacement doux, ou militer auprès de la tutelle pour la mise à disposition de transports en commun.
Conservateur des bibliothèques et ancien président de l'Association des Bibliothécaires de France, Xavier Galaup a récemment appelé, sur son site personnel, à une « révolution copernicienne » des établissements de prêt, pour une transition écologique radicale. « Comme tout le monde, nous pouvons faire davantage en réinterrogeant notre pratique professionnelle comme la plastification systématique des livres ou acheter différemment certaines fournitures ou mobiliers, par exemple d'occasion », nous explique-t-il. La production parfois abusive ou peu responsable d'outils de communication, à l'instar des fameux tote bags, peut aussi être interrogée.
Dans son article, il suggère même des achats de livres d'occasion par les bibliothèques, « pour un certain nombre de cas où cela peut être pertinent, comme pour les beaux-livres, très chers en achat neuf et dont les prêts ne sont pas toujours importants, ou pour certains réassorts de livres moins dans l'actualité qu'on voudrait encore garder dans nos fonds. Cela peut aussi s'envisager pour des classiques. » L'achat de livres neufs doit rester important en bibliothèque, précise toutefois Xavier Galaup, « notamment pour proposer rapidement des livres récents et dans l'actualité ».
« Tous les niveaux sont à mobiliser à notre sens », souligne la commission Bibliothèques vertes : « l’engagement individuel, l’engagement collectif, ainsi que l’engagement institutionnel de la direction de la (ou du réseau de) bibliothèque(s), mais aussi de sa tutelle ; c’est la conjonction de ces mobilisations qui rend possibles des actions efficientes sur le plan environnemental ».
La balle semble dans le camp des collectivités, et, si la perspective de réduire la facture pourra en motiver plus d'une, l'engagement économique dépendra de l'investissement de chacune. « Je pense que de nombreuses collectivités territoriales sont attentives et vigilantes sur la consommation énergétique des bâtiments », note Xavier Galaup, qui estime toutefois que le chauffage à 18 °C « risque d'être contreproductif dans une logique de lieu de vie et d'espace de travail », où l'immobilité renforce la sensation de froid. Dans le cas de collections patrimoniales au sein d'une bibliothèque municipale, par exemple, la bonne conservation devra évidemment être assurée.
Les craintes des professionnels portent aussi sur des perspectives de réduction des horaires d'ouverture, voire de fermeture de l'accueil au public, à des fins d'économies énergétiques. Contactées, l'Association des maires de France et l'Assemblée des Départements de France n'ont pas encore relevé de pareilles décisions.
Considérées comme « des bâtiments administratifs comme les autres qui ne conservent pas de collections patrimoniales, uniquement des biens fongibles », avec « très peu d’accueil de public », les bibliothèques départementales ne présentent pas de particularités pour les départements, nous indique-t-on.
À LIRE: Une librairie écoresponsable : bonnes pratiques et démarches d'amélioration
« Pour la consommation énergétique, les bibliothécaires sont souvent dépendants des services techniques et des priorités d'investissement de la collectivité », indique Xavier Galaup : le fonds vert du gouvernement, en 2023, pourrait avoir un effet incitatif pour un certain nombre d'entre elles, notamment pour la rénovation des systèmes d'éclairage. À ce titre, souligne la commission Bibliothèques vertes, « [l]es agents peuvent manifester auprès de leur hiérarchie leur souhait de mise en œuvre d’une rénovation énergétique ; les remontées factuelles sur les besoins à couvrir peuvent constituer un point de départ utile ».
La médiathèque Alexis de Tocqueville, à Caen (illustration, Aalain, CC BY-NC-ND 2.0)
L'intégration des objectifs écologiques dans la construction de nouveaux équipements par les collectivités permettrait également d'éviter des aberrations architecturales : « Il y a encore des bâtiments récents, les plus vitrés, qui connaissent des situations extrêmes : trop froid l'hiver et trop chaud l'été », estime l'ancien président de l'ABF.
D'autres mesures seront, a priori, plus simples à mettre en place, notamment la mutualisation et la rationalisation des moyens, pour des tournées d'artistes ou la création d'expositions : engagement et soutien des collectivités seront nécessaires, mais sans doute plus consensuels.
La marge de manœuvre au sein des bibliothèques territoriales dépendra donc en partie de l'engagement des collectivités elles-mêmes, sans doute attentives au soutien financier promis par l'État.
À l'inverse, l'autonomie des universités aura poussé ces dernières à une réactivité plus importante vis-à-vis du Plan Sobriété : les universités de Strasbourg, Bordeaux, Rennes ou encore Toulouse, pour ne citer qu'elles, ont rapidement communiqué sur l'adoption de plusieurs mesures. La plupart d'entre elles ne concernent pas directement le cœur des bibliothèques, mais les infrastructures dans leur ensemble (chauffage, éclairage, suppression de l'eau chaude sanitaire hors douche...).
Photographie : illustration, CORGI HomePlan, CC BY 2.0
1 Commentaire
Laurence
04/03/2024 à 20:19
Les auteurs et autrices perçoivent des "revenus" suite à la vente des livres neufs, n'est-ce pas ?
Les bibliothécaires doivent déclarer chaque facture auprès de la Sofia afin que - justement - les auteurs et autrices perçoivent leur dû.
Si les bibliothécaires achetaient leurs ouvrages d'occasion... alors... pfiout... zioup... : plus de pépettes pour les auteurs, ni les autrices, ni les illustrateurs, ni les illustratrices, ni les traducteurs, ni les traductrices... et j'en oublie.
Car si je me souviens bien, ces droits ne sont pas percevables via les livres d'occasion.
Je trouve donc très surprenant que cette solution soit proposée par Xavier Galaup sans même évoquer la questions des droits d'auteur.
Cela relance la question de la rémunération des auteurs et des autrices, sans qui - quand même ! - nous n'aurions rien à nous mettre sous les yeux (ou sous la dent).
D'ailleurs vous en parliez il n'y a pas si longtemps...
https://actualitte.com/article/115869/librairie/avec-la-bourse-aux-livres-l-occasion-fait-le-larron