Ce livre est la suite de La grammaire est une chanson douce (que je n’ai pas lu) dans lequel, selon le résumé qui est fait en tête d’ouvrage, Jeanne et son frère Tomas sont partis en paquebot passer des vacances en Amérique avec leur père, laissant leur mère en Europe.
Le 27/12/2022 à 14:34 par Mimiche
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Publié le :
27/12/2022 à 14:34
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Malheureusement, une terrible tempête provoque le naufrage du transatlantique et les voilà, naufragés solitaires, atterrissant sur une île perdue au milieu de l’océan : « une île étrange où les habitants principaux sont les mots ». Une île faisant partie d’un archipel.
Et ces îles seraient un pur paradis si elles n’étaient pas sous la coupe terrible du dictateur Nécrole et de son adjointe, la sèche Madame Jargonos.
Jeanne, comme toutes les adolescentes de son âge, s’interroge. Sur quoi ? Sur l’amour, bien sûr ! Une enquête qui doit lui permettre de comprendre ce qui rend si ridicule ou si totalement déplaisante une fille amoureuse qui ne quitte son air de reine que pour plonger dans les grimaces de la jalousie ou pour arborer un sourire vague et comblé !
Et c’est lors d’une de ces soirées qu’elle affectionne à la terrasse du Cargo Sentimental, un de ces bars qui pullulent sur la plage et où même les adolescentes comme elle sont admises, que le hasard va lui donner l’occasion de faire avancer ses recherches : Madame Jargonos est visiblement tombée sous la maîtrise des percussions et le charme des yeux souriants de Darios, dont les autres membres de l’orchestre se moquent à gorge déployée en le voyant hypnotisé, lui l’invétéré charmeur de ces dames, par ce « squelette » qui, maladroitement, mais sans soucis des moqueries et des grossièretés, se laisse maintenant aller à « un imperceptible mouvement [des] jambes », à un « frémissement cadencé [des] bras » !
Un épais mystère pour notre enquêtrice qui note que « l’amour est une conversation » … des yeux ! D’abord ! Il est le monde du présent de l’indicatif et ne supporte pas le conditionnel qui remet tout en question et, contrairement à l’amour, ne fait jamais confiance.
Alors qu’elle est en train de découvrir que « le monde [des amoureux] est impénétrable », elle fait connaissance du cartographe officiel de l’archipel qui lui propose de l’accompagner dans une de ses sorties en planeur, mode de locomotion qu’il privilégie pour « dessine[r] la terre vue d’en haut ».
Après lui avoir facilité les formalités administratives imposées par Nécrole pour pouvoir voler, il l’entraîne par dessus le chapelet des îles de la Conjugaison : l’île de l’Infinitif, l’île des Impératifs où règnent des fous autoritaires et frénétiques, l’île de l’Indicatif où le Présent trône entre des Passés brumeux et des Futurs recouverts d’un brouillard impénétrable, pour enfin arriver aux abords de l’île du Subjonctif où tout devient possible pendant que la silhouette de l’île ne cesse de changer.
Le cartographe ne l’avait pas trompée : ces sorties aériennes ne remettaient aucunement en cause son enquête. Au contraire ! Jeanne découvrait que ces voyages allaient la nourrir car « l’amour est une promenade ».
Avec malice, Eric Orsenna nous raconte une historiette pour grands enfants sages, à leur raconter le soir avant de les laisser s’endormir, les rêves pleins de subjonctifs prêts à inventer des mondes nouveaux.
Avec érudition, il en profite, au passage, pour nous gratifier de quelques développements étymologiques qui redonnent du sens à des mots dévoyés, banalisés, ayant un peu perdu le don de nous enflammer et de nous emporter dans des lectures démultipliées. Pour redonner à « curieux », du latin « cura », la mission de prendre « soin du monde et de ses habitants ».
Pour remettre à l’honneur et au présent des mots anciens perdus dans le passé. Pour décortiquer le subjonctif et en dévoiler les fonctions vitales et son importance dans la fabrication des rêves qui inventent des avenirs possibles, qui critiquent « le réel, le monde tel qu’il est, la pauvreté, les injustices [et] ceux qui veulent que rien ne change », qui est « un mode révolutionnaire » !
C’est une promenade dans un champ de grammaire, de vocabulaire et de conjugaison, dans ces îles autonomes qui ne trouvent leur sens que dans leur contribution à l’Archipel des Mots.
C’est gai, c’est distrayant, léger mais pourtant très didactique et très sérieux : la langue (les langues) est (sont) un sujet passionnant, important, indispensable pour dire le monde, pour s’intégrer au monde, pour partager le monde. Et si chacune a inventé ses propres règles, toutes ont cherché et trouvé les moyens d’exprimer la vie, les sentiments, l’espoir et imaginer demain.
C’est avec ces mots et toutes leurs déclinaisons, leurs conjugaisons, leurs évolutions, leurs sens cachés ou évidents qu’il est possible, partout, de parler de tout et notamment de l’Amour. Ce que Jeanne va rapidement comprendre puisque, avec ses « doutes », ses « attentes », ses « désirs » et ses « espérances […] l’Amour [est] une variété de subjonctif ».
Les mots font bouger le monde et secouent (encore pour combien de temps ?) le cocotier sur lequel les autocrates comme Nécrole sont perchés avec leurs Impératifs et leurs soldats. Certitude sur laquelle se termine l’ouvrage : « le bonheur ne dure pas ». On croirait entendre Pagnol !
Je n’en ai pas moins tourné la dernière page avec un sentiment d’inachevé (peut-être me faudra-t-il me plonger dans tous les autres tomes de la « saga » - que je n’ai pas lus - de La grammaire?) dans cette histoire se terminant sur une sorte de porte ouverte sur le vide et un récit qui, certes, ne manque ni de finesse, ni d’humour, ni de qualité d’écriture (on ne pouvait pas en attendre moins de la part d’un Académicien) mais dont la finale m’a clairement laissé sur ma faim alors que rentrer dans ce monde imaginaire ne m’avait en rien rebuté.
D’autant moins que les nombreuses illustrations de Bigre ! m’ont immédiatement séduit par leur pertinence, leur graphisme, leurs couleurs, leur attachement au texte et leur insertion dans le fil de l’histoire.
Paru le 01/09/2004
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1 Commentaire
jujube
29/12/2022 à 18:22
Bravo Mimiche: très bien écrit!