La sortie du film Arthur Rambo, inspiré des péripéties, mésaventures et interventions sur les réseaux de Mehdi Meklat, incitait la presse à revenir sur ce qui motivait le fond du film. En parallèle, ActuaLitté s’étonnait de voir deux des financeurs d’un établissement public — Les Ateliers Médicis — restés sans réaction, alors que l’intéressé bénéficiait d’une résidence d’auteur en ces lieux. L’erreur était subtile. Autant que la désinvolture.
Le 10/02/2022 à 09:40 par Nicolas Gary
2 Réactions | 758 Partages
Publié le :
10/02/2022 à 09:40
2
Commentaires
758
Partages
Bref rappel historique : en février 2017, Mehdi Meklat était rattrapé pour avoir utilisé un compte Twitter, sous pseudonyme. Et y avoir largement diffusé des messages antisémites, homophobes, misogynes, etc. Des tweets haineux, dans leur ensemble, dont il se sera amplement expliqué par la suite, sans par ailleurs avoir été condamné pour cela.
Reste qu’en 2021-2022, l’auteur s’est retrouvé en résidence aux Ateliers Medicis — accueil accompagné d’une rémunération de 11.000 €. À ce titre, le ministère de la Culture, principal financeur (3,7 millions €, en contributions statutaires), n’avait rien trouvé à redire. Pas plus, notions-nous, que la Région Île-de-France (150.000 € également en contributions statutaires).
Nous aurions dû, et voici l’occasion de le faire, ajouter que le département de Seine–Saint-Denis et la Ville de Paris abondent à la même hauteur que la région. Ensuite, que l’Établissement Public Territorial Grand Paris-Grand Est, la Ville de Montfermeil et la Ville de Clichy-sous-Bois apportent chacune 50.000 €.
Enfin, au titre de subventions affectées à des projets, 1,32 million sont versés. En somme, nombreux auraient pu être les financeurs en mesure de s’interroger sur le choix de Mehdi Meklat.
Pourtant, personne n’a levé le petit doigt… Personne ? Eh bien pas tout à fait, et cela avait échappé à ActuaLitté, qui s'est depuis rattrapé. Dans le procès-verbal du Conseil d’Administration daté du 13 octobre 2020, on retrouvait Florence Portelli, vice-présidente de la Région Île-de-France chargée de la Culture, du Patrimoine et de la Création, qui y représentait alors l’institution régionale.
Cette dernière, échangeant avec le président du CA, Thierry Tuot, conseiller d’État, tente de comprendre un point concernant la programmation. « C’est la Direction qui arrête l’essentiel de la programmation. Nous avons un rôle d’orientation au moment du vote du budget, où nous avons une idée assez claire de la stratégie à conduire », indique, pédagogue, le président du CA.
Il invite d'ailleurs Florence Portelli à ne « pas repartir avec votre frustration », et de s'ouvrir auprès des membres de ses questions. « Donc si on s’étouffe sur un aspect de la programmation, on s’étouffe en silence ou on peut en faire état », interroge-t-elle. Et de pointer, nommément, Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah, présents dans le programme.
Réponse immédiate de Cathy Bouvard, directrice des Ateliers Médicis : « Du coup, on ne va pas débattre là-dessus, mais prenons le temps d’en parler peut-être. C’est justement parce qu’il faut lire le livre qu’il a écrit ensuite et raconte cette chose-là, et je pense que c’est important d’en parler. Mais prenons le temps. » Elle ajoute : « Je tiens à préciser que s’il n’y avait eu, ne serait-ce qu’un soupçon d’antisémitisme, il ne serait pas dans la programmation. » Pour autant, il semble bien que les antécédents n'aient pas été particulièrement débattus.
Les échanges s’ensuivent, pour aboutir à cette assertion du président : « [M]ais vous pouvez avoir ici, absolument toutes les interrogations, les réticences ou les réserves, on n’a pas la science infuse et si on a fait une connerie, on sera les premiers à la reconnaître. Donc on va en discuter, pour savoir quels sont les éléments d’appréciation que vous avez, ceux qu’on avait, on en discute ensemble, vous m’en parlerez le cas échéant et au prochain Conseil, on fera un point d’information là-dessus pour qu’on puisse d’une part, tout le monde ayant été complètement informé, réaborder la question et vérifier qu’elle ne laisse pas de trace. »
Il ajoute un peu plus loin : « Aidez-nous à piloter ça, nous ne survivrions pas à une polémique adverse à notre activité qui exploiterait une erreur que nous avons faite. Vous êtes là pour nous aider à ne pas les commettre. Et le rôle de ce Conseil d’Administration de supervision de l’activité de l’équipe, il est aussi là. Je compte sur vous pour nous aider à creuser ce point-là et on fera un petit point d’information au prochain Conseil. »
L’affaire en restera là, d’autant que Florence Portelli quittera ce poste au sein du CA, pour être remplacée par Anne-Louise Mesadieu, déléguée spéciale au Développement solidaire à la Région Île-de-France. Nouvelle représentante de la Région au CA des Ateliers, elle a siégé lors de la dernière réunion, ce 11 janvier.
Dans la continuité de Florence Portelli, et s'exprimant pour la Région Île-de-France, elle fait état d'un désaccord avec une partie de la programmation. Et pointait alors l’incompréhension de la Région de voir une nouvelle fois Mehdi Meklat bénéficier d’une résidence. La Région Île-de-France s’est abstenue de voter le débat d’orientation budgétaire afin de marquer sa réprobation.
Sollicitée par ActuaLitté, elle nous indique : « Lors de la séance du 11 janvier, il nous a été présentée la programmation de la saison, et je fus la seule à émettre des réserves. Cela fut d’autant plus surprenant après l’intervention de Florence Portelli le 13 octobre 2020. »
La représentante de la Région IDF s’entend répondre que la loi du 7 juillet 2016 sur la liberté de création s’impose ici, et qu’il n’est pas question pour elle de s’immiscer dans les choix de la programmation. « Mais en tant que financeur, nous pouvons avoir besoin de précisions. Et la présence, reconduite, de Mehdi Meklat appelait à mon sens quelques explications. »
Un froid est jeté, mais la présentation se poursuit, sans pour autant freiner la séance. « Je déplore ce mutisme, d’autant que les services de la Région Île-de-France avaient proposé à Mme Cathy Bouvard d’évoquer ce choix programmatique. »
Anne-Louise Mesadieu n'imagine en rien « sanctionner, pas plus que je ne conteste le droit à une seconde chance. Mais être mis devant le fait accompli, sans disposer d’éléments d’explication clairs et précis sur ce choix, est difficile à accepter. C’est la raison pour laquelle la Région Île-de-France s’est abstenue sur leur débat d’orientation budgétaire. »
Nommée en septembre 2018 par les services de la rue de Valois, où officiait alors François Nyssen, Cathy Bouvard, directrice des Ateliers Médicis, n’a pas directement répondu à nos demandes de précisions. À ce titre, le ministère de la Culture, n'a, lui, pas estimé utile de prendre le sujet en considération.
Toutefois, le service communication des Ateliers note : « Le choix d’accueillir Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdellah en résidence a été motivé par la qualité de leurs productions artistiques antérieures (les livres Burn out et Autopsie, leur film documentaire Demain le feu). »
De même, sont soulignées « leur capacité à repérer et fédérer une génération d’artistes émergents posant entre autres la question des circulations entre centre et périphérie (en cohérence avec le projet global des Ateliers Médicis), et […] l’originalité de leurs projets en cours, incluant des habitant.es de Clichy-sous-Bois et Montfermeil ».
On est donc prié de ne pas poser de questions sur les choix opérés et d’accepter que les Ateliers contribuent « à l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes aux langages et aux parcours plus divers, à travers des actions d’éducation artistique, de formation et d’incubation ».
Des parcours qui, pour certains, ont donc démarré avec des tweets antisémites et homophobes... la question posée.
crédit photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
2 Commentaires
Aleph
11/02/2022 à 09:22
A juste titre vous vous étonnez que cet auteur ait été retenu, mais vous ne vous interrogez pas sur le bien-fondé d'une telle sélection par des apparatchiks. Indépendamment des problèmes de favoritisme difficilement évitables, notamment par affinités idéologiques (à quand remonte la dernière résidence d'un auteur ouvertement libéral ?), et de rupture de l'égalité entre les citoyens (combien de personnes travaillent par ailleurs pour n'écrire que le soir ?), il y a un problème de légitimité, car le goût du public, notamment contribuable, est escamoté. On crée là un art officiel en entretenant des parasites, soit écrivains, soit bureaucrates.
SamSam
11/02/2022 à 09:54
🤞