#Roman étranger

Personne ne disparaît

Catherine Lacey

Un soir, à la volée, conversation mondaine, un inconnu vous propose de profiter de sa chambre d'amis, si un jour vos pas vous entraînent vers chez lui. Et vous voilà dans un avion pour le bout du monde, toutes amarres larguées. Pour Elyria, qui plaque tout sans prévenir personne, c'est une tentative d'évasion très directement dirigée contre la réalité. Même si elle sait que, d'après les critères en vigueur, elle peut cocher toutes les lignes de la check-list - mari, travail, appartement, mère indigne - et s'estimer heureuse, fermer les yeux sur la banale, insipide, parfois tragique médiocrité des choses est au-dessus de ses forces. Ainsi, regard écarquillé et logique extrêmement personnelle en bandoulière, la jeune New-Yorkaise atterrit à Wellington, Nouvelle-Zélande, pour rejoindre la ferme isolée où se trouve ladite chambre d'amis, à l'autre bout de l'île du Sud. Expérience de vertige introspectif en autostop, Personne ne disparaît prend la tangente au pied de la lettre : trajectoire intérieure vouée à se mordre la queue (car partout l'on s'emmène avec soi), c'est aussi un envol, jalonné de rencontres improbables et de rendez-vous manqués, entre paysages grandioses et bords de route anonymes. Sur la douloureuse déception d'être soi, le souffle court des promesses et la séduction du précipice, le premier roman de Catherine Lacey fait retentir une voix inoubliable, d'une originalité radicale et d'une drôlerie inespérée.

Par Catherine Lacey
Chez Actes Sud Editions

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Genre

Littérature étrangère

à la mémoire de M. G.

 

 

There sat down, once, a thing on Henry’s heart

só heavy, if he had a hundred years

& more, & weeping, sleepless, in all them time

Henry could not make good.

Starts again always in Henry’s ears

the little cough somewhere, an odour, a chime.

And there is another thing he has in mind

like a grave Sienese face a thousand years

would fail to blur the still profiled reproach of. Ghastly, with open eyes, he attends, blind.

All the bells say: too late. This is not for tears; thinking.

But never did Henry as he thought he did,

end anyone and hacks her body up

and hide the pieces, where they may be found.

He knows: he went over everyone, & nobody’s missing.

Often he reckons, in the dawn, them up.

Nobody is ever missing.

John Berryman,

“Dream Song 29”.

 

 

1

 

Ça se peut qu’il y ait dans ce monde des gens qui sachent lire dans les pensées des autres sans le vouloir, et si des gens comme ça existent, alors je suis à peu près sûre que mon mari est l’un d’entre eux. J’y pense à cause de ce qui s’est passé pendant la semaine où je savais que j’allais partir bientôt, mais pas lui ; je savais qu’il fallait que je lui parle, mais j’échouais à imaginer un moyen de forcer ma bouche à formuler les mots, et comme mon mari peut, sans le vouloir, lire dans les pensées, il a bu beaucoup plus que d’habitude cette semaine-là, surtout des bonbonnes de gin, mais aussi des grandes bières de la supérette. Il entrait dans une pièce, sirotant sa canette cachée dans un sac en papier, tout sourire, comme si c’était une blague.

Je me mettais à rire.

Il se mettait à rire.

À l’intérieur de notre rigolade, on ne riait pas vraiment.

Le matin de mon départ, il est sorti du lit, s’est habillé, a quitté la chambre. Je suis restée complètement réveillée sous mes paupières verrouillées jusqu’à ce que j’entende la porte d’entrée se refermer. J’ai quitté l’appartement à midi avec mon sac à dos et je me suis sentie tellement mal, tellement bizarre, qu’au lieu de descendre dans le métro je suis entrée dans un bar. J’ai commandé un double bourbon même si je n’ai pas l’habitude de boire comme ça et le barman m’a demandé d’où je venais et j’ai répondu d’Allemagne, sans raison, ou peut-être pour qu’il n’essaie pas de me parler, ou peut-être parce que j’avais besoin de vivre dans une autre histoire pendant une demi-heure : j’étais une Allemande solitaire, venue voir la Statue von la Liberté et le Square von le Temps et le Park von Central (pas une femme prenant un aller simple pour un pays où elle ne connaissait qu’une seule personne, qui lui avait un jour vaguement offert de profiter de sa chambre d’amis, le genre d’offre, quand elle y repensait, qu’on fait quand on sait qu’elle ne sera pas prise au mot, mais il était trop tard, car ça y était, je la prenais, et voilà voilà voilà).

Un homme s’est installé sur le tabouret d’à côté malgré la longue rangée de tabourets vides, a commandé un jus de canneberge avec rien.

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trad. Myriam Anderson
03/02/2016 288 pages 22,00 €
Scannez le code barre 9782330057985
9782330057985
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