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Amnésique
– Roland, Roland, Roland, ne cessait de se répéter le jeune homme. Je m’appelle Roland. Roland Cœur de quelque chose... Cœur de quoi ? Roland, Grand Cœur. Non, ce n’est pas ça. Cœur de Feu... De Glace. Cœur d’Or... Cœur d’Artichaut, Cœur de Pierre. Non, toujours pas. Je dois me rappeler. Ne pas les laisser me prendre mon nom aussi...
Comme il l’avait déjà fait plusieurs fois durant des heures, des jours peut-être, Roland ferma les yeux, tâchant de mieux regarder en lui. À la recherche de souvenirs de plus en plus lointains, il devait maintenant fournir des efforts considérables pour raviver les cendres froides de son passé. Certaines bribes de son enfance lui revenaient, une auberge, deux sœurs, un petit village d’Angleterre... D’autres, plus récentes et plus étranges, se glissaient parfois dans son esprit, mais il ne leur trouvait aucun sens. Il ne parvenait pas à réécrire sa propre histoire. Un monstre buveur de sang, un homme-bête, une cape pourpre... Qu’était tout cela ? Et qui étaient Mathilde, Corwyn, Ruppert, Lothar, et cette Elena dont le beau et doux visage hantait ses rêves ? Il n’en savait rien...
Quand il rouvrit les yeux, le passé resta incertain. En revanche, le présent, lui, continuait à le narguer avec aplomb et les murs sombres de sa cellule lui rappelaient sans cesse que sa vie oubliée prenait un tour des plus déplaisants.
***
Depuis des semaines ou des mois, sans pouvoir estimer le temps qui passait, les cheveux jusqu’aux épaules, les ongles longs et sales, vêtu de guenilles, Roland était enfermé dans une cellule de pierre. Il ignorait où, pourquoi et par qui. Des questions essentielles dont il ne parvenait pas à deviner les réponses, des questions qui bondissaient en permanence entre ses pensées. Parfois, le brouillard régnant sur sa conscience se dissipait et de maigres parts de vérité retrouvaient le chemin de son esprit. À l’aide d’une pierre, il gravait alors ces illuminations, en mots ou en dessins, sur les parois de son triste cachot. C’était hélas son unique moyen de ne pas oublier, car le sommeil emportait tout de lui. Il ne lui laissait que le supplice de l’amnésie.
Sa mémoire défaillante ne lui permettait même pas de garder une trace intérieure de ce qu’il avait pu accomplir quelques jours plus tôt. Étudier ses propres gravures si misérables, si mystérieuses l’apaisait pourtant. Grâce à la lueur d’une torche glissant sous la porte de bois de sa basse-fosse, il cherchait la vérité en elles. Les dessins, comme la lumière, le rassuraient.
Que représentaient ces symboles, ces mots, ces signes, ces improbables souvenirs gravés à la hâte ? Fantôme, étang, village, immortel, mort, livre, peurs... Ces mots sans aucun rapport entre eux étaient regroupés dans un coin du cachot. Sur une autre partie du mur se trouvaient des noms : Hardanger, Asa, Elena, Corwyn, Lothar, Mathilde. Mais ce qui attirait le plus son attention était un simple nombre : le 13. Tantôt en chiffres arabes, tantôt en chiffres romains, ces ciselures dessinant le nombre de malheur fleurissaient partout dans la cellule. Et tous les 13 qui observaient Roland le terrifiaient. N’était-ce pas là un nombre maudit, qui attirait la désolation et la mort ? Assurément, vu sa situation. Assurément.
Extraits
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