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Roland et le faux ami
Duché de Bourgogne, 25 juin 1191.
La muraille entourant Dijon apparaissait au loin. Roland, qui chevauchait en avant, se retourna vers ses deux compagnes, Mathilde la Patiente et Elena. Cette dernière évita négligemment le regard du jeune homme.
Partis de Londres, ils avaient débarqué à Rouen, sept jours auparavant, pour traverser le comté de Flandre, puis le comté de Champagne. Leur voyage s’achevait ici.
Quelque temps plus tôt, après un séjour printanier dans son village natal de Tewkesbury, Roland était revenu à Londres, dans la grande demeure de l’ordre où l’attendaient ses amis, Corwyn le Flamboyant et Mathilde. Les trois compagnons faisaient partie des Haut-Conteurs, une caste légendaire dont les membres, reconnaissables à leur cape pourpre, couraient sans cesse le monde. Durant leurs périples, ces prestigieux aventuriers se confrontaient à toutes sortes de mystères et découvraient parfois une page du Livre des Peurs, redoutable objet mystique dont nul ne connaissait l’origine. Six mois auparavant, à Paris, Roland, Mathilde, Salim l’Insondable et leurs alliés avaient vaincu Vlad, le Roi Vampire, et Lothar Mots-Dorés, l’ennemi juré de l’ordre. Une victoire au goût douloureux, payée par la mort atroce de William le Ténébreux, l’un des plus anciens Conteurs, et la trahison de Ruppert l’Archiviste. Récemment, le Collège des sages, instance suprême des Conteurs, s’était une nouvelle fois réuni afin d’analyser la situation. Que Lothar se soit évadé de sa geôle parisienne et évanoui dans la nature ne surprenait guère la docte assemblée. Il ne servait à rien de courir après Mots-Dorés qui resurgirait, tôt ou tard. À ce moment-là, on tâcherait de le mettre hors d’état de nuire. Vlad gisait dans une mort censée être définitive et, concernant William, hélas, on ne pouvait plus rien faire. En revanche, la disparition prolongée de Ruppert tracassait les sages. L’érudit Conteur, blessé lors de l’affrontement avec Vlad, avait-il survécu ou non ? Si c’était le cas, il fallait le retrouver. L’homme représentait à lui seul la mémoire de l’Ordre Pourpre. De quoi trembler en songeant au mal qu’il pourrait provoquer en se confiant à des scélérats, l’esprit animé de méchantes pensées. Le Collège hésitait sur l’attitude à adopter envers Ruppert. Appliquer une sanction définitive qui ferait de l’Archiviste un paria pourchassé ? Ou pardonner, au terme d’une punition plus nuancée ? Le cas demeurait problématique tant Ruppert, jusqu’à sa forfaiture, était un Conteur aimé et apprécié. De plus, son comportement résultait à l’origine d’une possession mentale imposée par le Roi Vampire, bien que Ruppert ait finalement recouvré son libre-arbitre à Paris. La vénérable instance aurait donc préféré entendre l’Archiviste en personne, si celui-ci vivait encore.
Corwyn, qui siégeait au Collège comme feu le Ténébreux, attendit le retour de Roland et expliqua la chose à ses amis. Puisque la mémoire vivante des Conteurs persistait à ne pas donner signe de vie, l’on devait remonter jusqu’à son refuge éventuel. Ruppert étant dépourvu de famille, les sages n’en voyaient qu’un seul possible : l’hôtel particulier d’un certain Maître Villemet, avec qui l’Archiviste aimait jadis se livrer à force débats philosophiques. Villemet, homme de science fort connu de certains Conteurs français, résidait à Dijon. Il paraissait naturel que les deux derniers frères ayant parlé à Ruppert se chargent d’enquêter, et le Collège trancha à la quasi-unanimité. Mathilde la Patiente, accompagnée de Roland Cœur de Lion, fils d’aubergiste mais déjà Conteur confirmé, partiraient en Bourgogne.
Extraits
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