Prologue
La dernière chose dont il se souvenait, c’était le motif du tapis. Des zébrures dentelées, indigo et rouge foncé, comme des ecchymoses infligées par un instrument de torture inconnu. Puis la coque en acier d’une chaussure s’abattant sur son visage. Il sentait maintenant le sang qui s’infiltrait petit à petit dans sa bouche. En tâtant du bout de la langue, il tomba sur une surface râpeuse, là où ses molaires s’étaient brisées.
Il avait les mains liées derrière le dos, les pieds attachés avec les lacets de ses chaussures de chantier. À travers son jean il sentait le sol en ciment de la grange, froid et humide, et des éclats de verre sous sa cuisse droite. Pour l’instant la douleur restait diffuse, supportable. Il n’en mourrait pas. C’était sans compter le mal de crâne qui l’assaillit quand il essaya de concentrer son attention sur la porte de la grange.
Il entendit des voix d’hommes au-dehors, des bruits de pas traînants, puis le claquement d’une barrière métallique. Ils étaient en train de faire rentrer les cochons pour les nourrir.
Il fallait se lever. Se mettre debout et sortir. Maintenant.
Le sang battait dans ses oreilles et coulait de la fracture de son nez jusqu’au fond de sa gorge. Ça ne serait pas la dernière chose qu’il verrait, cette grange immonde, avec son toit en amiante et ses barils de produits chimiques putrides. Il ne mourrait pas ici. S’ils voulaient le tuer, ils devraient l’attraper dehors, dans l’obscurité et la saleté des champs.
Il bascula sur le dos, plia les genoux sur sa poitrine et ramena les bras vers l’avant. Sa jambe cogna dans un bout de métal qui se mit à tinter en roulant. Il laissa échapper un juron. La corde autour de ses poignets était humide, les nœuds avaient été vite faits. Il réussit à dégager sa main gauche, s’écorchant les doigts au passage. Les mains tremblantes, il défit les lacets qui enserraient ses chevilles.
Dehors les voix montaient en volume. Sans pouvoir clairement distinguer les mots, il percevait un changement de ton, une nouvelle hargne. Mais ça ne modifiait en rien le sort qui l’attendait. Personne n’était en train de défendre sa peau.
La porte de la grange se rabattit, laissant entrevoir la cour éclairée.
« Si tu commences à te dégonfler t’as qu’à retourner chez ta mère ! » cria un homme.
Les battements de son cœur devenaient assourdissants dans le silence de la grange. Un petit nuage d’air chaud se formait devant sa bouche à chaque expiration. Combien de fois encore avant le dernier souffle ?
Il s’en voulait presque. À un contre un, il aurait eu ses chances. C’est pour ça qu’ils avaient attendu la nuit pour venir l’assommer dans son sommeil, l’attacher et le bâillonner. Ils n’étaient pas les durs qu’ils prétendaient être.
Il s’avança dans l’ombre, collé au mur.
Les cochons se pressaient à l’intérieur par dizaines, grognant et reniflant, d’énormes bêtes roses tachetées de noir qui se bousculaient contre les barrières métalliques. Il percevait leur odeur, la chaleur qui montait de leur dos dans la clarté éblouissante des spots lumineux.
Extraits
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