I
LA FILLE DE LA PHOTO
1
Sur le cliché pris par un photographe inconnu, deux filles sveltes : la première en jupe légère à carreaux et chaussettes sombres, l’autre dans un élégant manteau noir et avec deux belles tresses qui lui tombent dans le dos. Celle-ci ne porte pas de chaussettes, à l’évidence, ce sont les derniers soupirs, les derniers vestiges d’un été chaud, peut-être les premiers jours de septembre. Image matinale de citadins qui se pressent vers leurs affaires, femme qui porte un cartable, pourtant certains musardent, désœuvrés. Ici, un homme à vélo bavarde avec quelqu’un, probablement du temps, un autre, en ce jour de grâce, tire sur sa cigarette et expire de grandes bouffées de fumée. Un œil attentif pourrait noter qu’il est arrivé quelque chose à l’écriteau du grand bâtiment : HOTEL OREL a été transformé en HOTEL ADLER ; une petite correction, le propriétaire, pratique, a seulement commandé deux nouveaux caractères A et D, puis il a transformé le mot RESTAVRACIJA en RESTAURANT. Dans le coin droit en bas, un homme en uniforme marche, il tourne le dos au photographe. Bottes noires, veste militaire grise, pistolet à la ceinture. L’image idyllique d’un paisible après-midi d’automne précoce dans une rue de Maribor laisse soudain place à un instant de tension invisible : d’où vient cet homme, où va-t-il dans cet uniforme qui est presque certainement l’uniforme d’un membre des unités Schutzstaffel, ce SS inconnu arrive du bord de la photo et se dirige vers le fond. Il n’est inconnu qu’au premier abord, dès l’instant suivant, la fille aux cheveux blonds, à la jupe à carreaux et aux chaussettes noires jette un regard à l’homme en uniforme et dit à son amie :
– Mais est-ce que ce n’est pas le portrait craché de Ludek ?
Son amie à tresses saisit au dernier moment le profil de l’officier allemand qui passe.
– J’ai l’impression que ça pourrait être lui, dit-elle en riant. Il a l’air un peu plus adulte.
Mais elle redevient rapidement sérieuse en voyant le visage de son amie.
Le visage de la fille à la jupe à carreaux et aux chaussettes noires semble soucieux, quelque chose la tracasse, peut-être vient-elle de raconter à son amie ce qui l’inquète, soudain elle se rend à l’évidence :
– C’est lui, dit-elle, je le reconnais.
Elles le suivent un moment des yeux.
– Tu crois que je pourrais lui parler ? demande la fille à la jupe à carreaux d’une voix surexcitée, presque tremblante.
– Moi, à ta place, je lui parlerais, l’amie à la tresse fait un geste encourageant et elle hausse les épaules : qu’est-ce que ça te coûte ?
La fille à la jupe à carreaux se balance nerveusement d’un pied sur l’autre.
– Je demanderai à mon père de lui parler, il le connaît bien.
Et au bout d’un moment, elle ajoute :
– S’il accepte.
– Sonja ! s’écrie son amie et elle sourit d’un air un peu espiègle : Moi je pense qu’il vaudrait mieux que tu lui parles, toi.
Extraits
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