Le bâillon du hakkapélite
L’écume à la bouche, dix taureaux emballés passèrent au grand galop devant l’humble demeure du ferblantier Väinö Volotinen. Le plus violent orage du printemps venait de s’abattre sur le troupeau.
« Maman, viens vite voir ! » crièrent les enfants en direction de la chambre où leur mère était en train d’accoucher de son dernier-né. Malgré les douleurs de l’enfantement, Siiri Volotinen se leva et, poussée par la curiosité, se traîna à la fenêtre.
« Les éclairs les auront rendus fous », constata-t-elle, et elle retourna à son lit de gésine.
C’est ainsi que le petit Volomari vint au monde à la mi-avril 1942 à Tammela, petit village de la province du Häme, dans la maison de Väinö Volotinen et de sa femme Siiri. Les contractions de la parturiente avaient commencé dans la matinée et duré quelques heures. En fin d’après-midi, un gros orage avait éclaté. Tandis que sa mère hurlait et que le tonnerre grondait, Volomari naissait. Au moment même où il poussait son premier cri, la foudre tuait un taurillon du troupeau du voisin.
C’est une chance de naître dans la famille d’un tôlier-ferblantier aimant les enfants et collectionnant les antiquités. Il y a là de toute évidence une forme d’équilibre : un nouveau-né et des objets anciens se complètent à merveille, le passé et l’avenir cheminent main dans la main.
Siiri avait alors quarante-neuf ans, son mari deux de plus. Leurs aînés avaient déjà tous fêté leur dixième anniversaire, si bien que Volomari vécut toute son enfance entouré de gens beaucoup plus âgés que lui. Il se sentait ainsi en sécurité, et apprit en outre dès le plus jeune âge à raisonner comme un adulte.
Il devait son prénom au coureur Volmari Iso-Hollo, qui avait remporté la médaille d’or du trois mille mètres steeple aux Jeux olympiques de Los Angeles, dix ans plus tôt, puis à ceux de Berlin en 1936 et, sur dix mille mètres, était arrivé deuxième en Amérique et troisième en Allemagne.
Alors que les pères des autres garçons de Tammela leur taillaient des jouets en bois, celui de Volomari lui en fabriquait en tôle. Et tandis que ses petits camarades faisaient tourner dans les ruisseaux des roues à aubes faites de bouts de planche, il s’amusait avec de superbes turbines découpées dans des plaques de cuivre dont les ailes scintillaient parmi les tourbillons. Dans les arbres du jardin des Volotinen tintaient quelques nichoirs en métal qui offraient aux chants d’oiseaux des caisses de résonance sans égal.
Volomari était choyé. Pour l’école, son père lui fit cadeau d’un plumier en tôle. Et pour aller chercher le lait quotidien de la famille à la ferme voisine, il avait une berthe en fer-blanc qui brillait au soleil. La poignée de son arc était en tôle galvanisée et les patins de sa luge en acier inoxydable.
Les Volotinen habitaient un peu en dehors du village, au bord d’une petite rivière ; ils avaient quelques moutons et, accolé à leur maisonnette, un modeste atelier de ferblanterie. C’était un endroit fascinant où le petit Volomari pouvait fabriquer lui-même divers objets en tôle et souder à l’étain toutes sortes de récipients. Son père l’aidait et le conseillait.
Extraits
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