#Roman étranger

Un moustique dans la ville

Erlom Akhvlediani

Tous les moustiques de Géorgie sont morts, tous sauf un, un moustique aux yeux bleus investi d'une mission suprême : affronter les mains de son assassin qui l'attend quelque part en ville. Cet être pas plus gros que trois poils vole d'une rue à l'autre, inspecte la chambre du meurtrier, guette l'heure du rendez-vous ultime. En passant, attention, sa piqûre peut aussi donner l'amour et deux jeunes gens pourraient bien y succomber avant que le livre ne s'achève.

Par Erlom Akhvlediani
Chez Le Serpent à Plumes

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Genre

Littérature étrangère

I

 

C’est comme ça ! Ma vie entière se passe à marcher dans une nuit obscure. Parfois, une lumière scintille au loin et je me précipite vers elle comme un insecte, mais les ténèbres ont vite fait d’engloutir cette lumière et me voilà errant de nouveau dans la nuit obscure.

 

 

Un moustique dans la ville (Une histoire)


Mon bureau est ensorcelé : j’ai beau le ranger, il se recouvre sans cesse d’affaires inutiles, pareil à un champ de céréales mal sarclé. Il y a longtemps que j’ai abandonné cette vaine occupation.

Il est probable qu’autrefois ces affaires ont eu leur utilité, mais maintenant je ne sais plus pourquoi j’avais besoin de chacune d’elles.

Comme ce serait bien si, devant moi, sur mon bureau, il n’y avait qu’une feuille de papier blanc sur laquelle écrire !

Sur mon bureau, j’aimerais aussi avoir un stylo, une boîte pleine de cigarettes, une vieille balance de pharmacie (la balance de pharmacie avec laquelle je pèse tout : des cendres et un éléphant, des personnes de connaissance et la nuit, des rêves et des souvenirs, etc.), un sablier, une lampe de bureau et surtout une loupe. Indispensable, la loupe, parce que la nuit, de nombreux insectes sont attirés par la lumière de la lampe. Dans le silence de la nuit, on entend parfois un crépitement : un insecte tombe sur la feuille et je l’observe à la loupe, attentivement.

Les insectes, ces étranges pensées de la nature, combien de réflexions et de sensations ne font-ils pas naître en moi ! Leur petitesse me fait sombrer dans la mélancolie. Parfois j’ai le sentiment qu’ils sont une incarnation de notre autre vie, enfermée dans un corps minuscule. Nous sommes aussi impuissants, vagabonds, dégoûtants, abandonnés, rebutants et inutiles qu’eux. Peut-être sont-ils une image exacte de notre existence véritable…

Dans le cours habituel des choses, seuls les insectes de mon bureau sont des êtres vivants au milieu d’objets inutiles et inanimés. Eux seuls égaient ma morne solitude.

 

 

Prologue


ბჟა დიდაჩქიმი,

თუთა მუმაჩქიმი,

ხვიჩა-ხვიჩა მურიცხები

და დო ჯიმა ჩქიმი1.

 

Depuis que la plaine de Colchide a été plantée d’eucalyptus et que les marais ont été asséchés, tous les moustiques ont décidé de mourir et tout d’un coup, ils ont disparu de ce monde.

La mort, ce n’est pas la vie, tout le monde sait ça. Ceux qui ne le savent pas le comprendront avec le temps…

Un moustique meurt silencieusement. Une cigarette allumée jetée dans une flaque d’eau s’éteint plus bruyamment que la vie d’un moustique.

Tous les moustiques se sont éteints. Ils sont morts un par un. Si l’on pense que les moustiques, ayant disparu tous ensemble, ne sont pas morts un par un, on se trompe lourdement.

Un seul moustique a survécu. (On dit que, comme tous les habitants de Colchide, il a les yeux bleus. Je ne le crois pas, bien sûr, et vous non plus, probablement. Ceux qui le croient en ont le droit, je ne le nie pas.) Le moustique a sauvé sa peau. Très difficile de sauver sa peau ! Rien de plus difficile ! Et pourtant, le moustique aux yeux bleus a sauvé la sienne.

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trad. Rusudan Turnava, Isabelle Ribadeau Dumas
07/09/2017 171 pages 17,00 €
Scannez le code barre 9791097390020
9791097390020
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