#Roman francophone

Pour que rien ne s'efface

Catherine Locandro

Comme un film que l'on rembobine, cette histoire commence par la fin. Une banale levée de corps par l'équipe des pompes funèbres, celui d'une femme de 65 ans retrouvée dans un studio parisien, entre des magazines, photos éparses et cadavres de bouteilles. Triste spectacle de l'ultime solitude. Pourtant la défunte est loin d'être une inconnue. Elle fut une icône du cinéma. Un rôle qui changea sa vie, et précipita sa chute. Quelle sombre histoire se cache derrière ce destin tragique ?   Qui se souvient de Lila Beaulieu… Douze témoins vont prendre la parole, chacun dira sa vérité sur Lila, une vérité peuplée de gouffre et d'étincelles. À travers ces voix – un médecin légiste nostalgique, un voisin devenu ami ou encore un amant à jamais blessé –, Catherine Locandro dessine peu à peu les contours de son héroïne, comble les vides et les silences. La construction chorale reflète parfaitement le mécanisme de l'existence, succession de rencontres, d'évitements et de hasards. Les êtres se croisent, s'effleurent, s'enlacent (rarement) et se quittent dans un carrousel inattendu autour de ce magnifique portrait de femme saisi avant qu'il ne s'efface.

Par Catherine Locandro
Chez Editions Héloïse d'Ormesson

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Genre

Littérature française

À Marc Taraskoff

 

 

ELLE A ÉTÉ la plus belle petite fille du monde.

C’était sa mère qui le lui répétait, en brossant ses longs cheveux châtains aux reflets dorés, doux comme la soie.

Puis elle est devenue une icône. Un visage adolescent à l’innocence affectée et provocante, infiniment désirable. Une image de cinéma.

 

Sa disparition a commencé il y a longtemps. Dès cette image fantôme qui s’est ancrée dans les inconscients, la figeant dans le temps et les mémoires. Une extinction lente aux allures de fondu au noir qui l’a menée jusqu’à cette pièce, derrière cette porte où on l’a oubliée.

 

Dans un instant, certains se souviendront d’elle. La porte s’ouvre. Le long silence prend fin.

Dans un instant, ils sauront qu’elle est morte.

 

 

PAUL

 


* * *

 

 

L’ODEUR QUE DÉGAGE un cadavre humain va bien au-delà de la pestilence. Il y a dans cette exhalaison quelque chose d’inacceptable. La promesse de notre propre mort à venir.

Paul avait été confronté à cette odeur pour la première fois à l’âge de seize ans. C’était durant l’été 2003, et il gagnait son argent de poche en travaillant pour l’entreprise familiale de pompes funèbres. Tout le mois de juillet, il avait assisté les maîtres de cérémonie et accompagné les convois. Puis, un matin particulièrement chaud de début août, son père lui avait demandé s’il se sentait prêt à être de garde de levée de corps. Chaque week-end, un binôme était d’astreinte afin de répondre aux appels de la police à toute heure du jour et de la nuit. Il fallait ramasser les personnes décédées sur la voie publique, ou de façon suspecte, pour les transporter jusqu’à la morgue ou au funérarium. Paul avait tout de suite compris que son père cherchait à le tester. Même s’ils n’en avaient jamais parlé, ce dernier espérait que son fils reprendrait les rênes de l’entreprise qui avait déjà survécu à deux générations. Accepter cette première garde, c’était montrer un réel intérêt pour le métier en se confrontant à ce qu’il pouvait avoir de plus rebutant. Paul avait à peine réfléchi avant de dire oui. Il n’avait jamais envisagé d’emprunter un autre chemin que celui qui s’offrait à lui depuis sa naissance. C’était une étape qu’il devait franchir, inévitable.

 

Le samedi suivant, peu après 18 heures, Harry, un employé d’une quarantaine d’années surnommé « buffet froid » parce qu’il avait tenu un restaurant avant d’être croque-mort, était passé chercher Paul en fourgon blanc banalisé. Ils avaient reçu un appel de la police judiciaire qui, comme le stipulait le règlement, leur laissait moins d’une heure pour se rendre dans une résidence HLM du 19e arrondissement. Le corps d’un homme avait été retrouvé dans un local technique. Aucun détail ne leur avait été donné hormis ce conseil : n’oubliez pas vos bottes. Tous deux savaient ce que cela signifiait, même si ce n’était que de façon théorique pour Paul. Pendant le trajet, Harry avait parlé cuisine, comme il le faisait souvent. Il était en pleine préparation d’un gaspacho quand son téléphone avait sonné. Sa femme avait pris la suite, il avait hâte de rentrer. Paul, lui, n’avait rien osé faire de sa journée. Il était resté en attente, nerveux, à guetter la moindre alerte émanant de son portable. En écoutant Harry, il s’était demandé s’il parviendrait un jour à un tel niveau de décontraction en étant consigné.

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12/01/2017 205 pages 18,00 €
Scannez le code barre 9782350873893
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