Je dédie ce livre aux Inkwell.
Vous êtes les meilleurs amis auteurs
dont je pouvais rêver et je vous aime.
Prologue
Quand je me suis fait tatouer pour la première fois, j’étais plus âgée que tous mes amis.
Ma mère adore raconter cette histoire. Malheureusement. Nous sommes censés recevoir notre nom et notre premier tatouage deux jours après notre naissance mais, comme je suis tombée malade, ma mère a annulé la cérémonie en attendant que j’aille mieux, sans tenir compte des avertissements de ses amis au sujet des bébés qui mouraient sans avoir été tatoués. Je suis donc restée vingt jours ainsi, anonyme, jusqu’à ce que ma mère déclare : « Elle s’appellera Leora. »
On a inscrit ce nom dans ma chair avec de minuscules aiguilles. De minuscules lettres qui ont grandi avec moi pendant seize ans.
Nous n’avons pas peur de la mort. Nous lui survivons en intégrant nos tatouages dans un livre. L’histoire de notre vie, inscrite sur notre peau, y est conservée pour toujours – seulement si nous en sommes dignes. Notre histoire se poursuit ainsi pour l’éternité.
Les livres de peau de nos ancêtres remplissent nos étagères. Je peux respirer leur odeur, les toucher, lire leurs histoires.
Mais ce n’est qu’à la mort de mon père que j’ai vu le livre de quelqu’un que j’avais vraiment connu.
Nous avons eu de la chance de pouvoir nous préparer à son décès. Nous avions massé sa peau avec de l’huile ; il nous avait raconté les histoires de ses tatouages, notamment l’arbre qui arborait nos noms sur son dos. Il était prêt à quitter ce monde. J’ai vu ses bras puissants se dégonfler, sa peau se rider, son dos se plier comme s’il avait reçu un coup dans l’estomac. Très vite, ses yeux devenus aveugles n’ont plus vu que la douleur. C’était comme si la maladie l’aspirait, ne laissant qu’une coquille vide.
Les gens ont apporté des fleurs et de la nourriture pour adoucir ses derniers jours. Des petites marques d’affection ; qu’auraient-ils pu faire de plus ? Nous n’étions pas les seuls à avoir le cœur brisé : mon père était très apprécié.
Je n’étais pas prête quand la mort a frappé en ce beau jour d’automne. Ma mère m’a réveillée à l’aube.
— Debout, mon cœur, a-t-elle chuchoté d’un ton pressant. Je crois qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps.
Je me suis précipitée aux côtés de mon père. Il respirait de plus en plus difficilement. Ma mère et moi lui avons pris les mains. Je guettais son dernier soupir. Tout à coup, il a ouvert les yeux et plongé son regard dans le mien. Il a serré ma main dans la sienne et saisi le pendentif qu’il portait toujours autour du cou : une mince feuille en bois ornée de nervures délicates, suspendue à une cordelette en cuir. Ce bijou comptait autant pour lui que ses tatouages ; je ne l’avais jamais vu sans.
— Leora, a-t-il soufflé d’une voix rauque. C’est pour toi. S’il te plaît, ne m’oublie pas, ma fille. (Les larmes lui sont montées aux yeux.) Promets-moi de faire attention aux Immaculés, ma petite lumière.
Extraits
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