Le Japon est désormais une mine pour les histoires de fantômes et les récits d'épouvante. Il aura suffi de quelques films d'horreur à succès et d'une déferlante de mangas pour que le lecteur trouve normal de voir les terres nippones peuplées de spectres errants et d'assassins en série. « Aokigahara, la forêt des suicidés » (allez-y pour retenir un titre pareil sans prendre de note et le commander chez votre libraire préféré !) se nourrit de ce fantastique oriental qui mélange habilement croyances ancestrales et boucherie contemporaine.
Au centre du récit, il y a une forêt (elle existe vraiment semble-t-il), au pied du mont Fuji, où l'on dénombre une quantité phénoménale de suicides. Une garde forestière, Ryoko, est chargée de retrouver les corps et de les ramener à la morgue (il n'y a pas de sot métier, me direz-vous).
Elle se consacre entièrement à cette tâche, dérogeant largement aux règles de sécurité, pour veiller à ce qu'aucun corps de reste sans sépulture et qu'aucun fantôme ne se retrouve forcé à errer pour l'éternité. On comprend bientôt que le corps de son propre père, disparu depuis plusieurs années, n'a jamais été retrouvé.
Au même moment, Alan, un Occidental qui bosse comme expatrié en ville, largue sa petite amie japonaise. La fille le prend très mal. Alors qu'il tente de se changer les idées, elle prend seule la route de la forêt des suicidés et se pend à une branche solide. Comme si un suicide ne suffisait pas, voilà qu'on retrouve l'un après l'autre tous les amis d'Alan sauvagement massacrés. La police a vite fait de le désigner comme principal suspect.
Des morts moins morts qu'on le voudrait
À la lisière entre le thriller et le pur récit de terreur, « Aokigahara, la forêt des suicidés » parvient à captiver les lecteurs. Les personnages sont complexes, le récit suffisamment fouillé pour qu'on le suive comme on s'enfonce toujours plus loin dans les bois.
Le dessin de Gabriel Hernandez et sa mise en couleurs sauvage et torturée soulignent l'atmosphère singulière de ces lieux où la nature déjà impressionnante est décuplée par les suicides et les bains de sang. Plutôt que montrer les détails gore, Hernandez joue d'une mise en scène habile pour laisser toute la place à l'imagination. Il y a du sang, bien sûr, il y a des pendus à la pelle, mais le jeu des ombres et les gros plans soudain esquivent au dernier moment l'étalage de chairs à vif. Reste la présence permanente et angoissante de la mort, thématique principale du récit.
El Torres, auteur du scénario, réussit à présenter les dernières minutes d'une jeune fille qui va se pendre avec suffisamment de pudeur et de distance pour à la fois donner à voir la mort par pendaison dans toute sa bestialité – un corps qui résiste à l'agonie n'est jamais beau à regarder – en évitant de rendre cet acte ni théâtral ni glamour.
Bien sûr, « Aokigahara, la forêt des suicidés » est un récit d'épouvante, efficace et palpitant avant tout, mais il soulève tout de même au passage des problématiques intéressantes. L'album est ainsi traversé, hanté presque, par l'humidité de la forêt et une question terrifiante : peut-on trouver la force de continuer à vivre quand on se sent si seul qu'on a l'impression que sa vie est un gâchis, un désastre permanent ?
Deux nouveaux projets en chantier
La fin de l'album présente les vingt premières planches du « Voile des Ténèbres », le nouveau projet des deux auteurs et l'on repère immédiatement des points communs assez frappants. Cette fois encore, c'est une héroïne qui mène l'enquête et elle possède un don hors du commun, celui de voir et de parler aux victimes des crimes les plus crapuleux... après leur décès.
Et si elle prête un coup de main à la police pour élucider les crimes, c'est parce qu'elle est elle-même hantée par une vérité beaucoup plus sombre encore, qui a surgi dans son enfance lors d'un terrible accident de train. On a hâte de lire la suite.
Ah oui, encore un petit détail sur « Aokigahara, la forêt des suicidés » : les droits d'adaptation au cinéma ont été achetés et le réalisateur devrait être Hideo Nakata lui-même, spécialiste de l'horreur à la japonaise. Ambiance et frissons garantis.