Salué comme une révélation par la presse anglo-saxonne, le premier roman de ne peut, en effet, que marquer son lecteur, le mettre en émoi, le surprendre intensément. Une lecture inédite, qui nécessite une implication concentrée du lecteur, mais qui s'exerce pourtantpresque sans effort tant le souffle lyrique de la prose illumine ce roman d'une beauté presque organique.
La nature enveloppe l'histoire, l'enserre avec force, fait naître le drame. A la fois splendide et puissante, elle prend vie avec lui. Le crépitement de la pluie, les ajoncs touffus et les broussailles, la bruyère trempée, les étendues de lande pelée du Donegal, le gris de la brume sur les collines et l'odeur du feu de tourbe accompagnent Coll Coyle, le métayer.
Dans une Irlande rurale et extrêmement pauvre, où la faim et la crasse tenaillent les corps paysans, où l'arrogance et la cruauté des propriétaires terriens soulèvent les cœurs, seul le ciel changeant a encore la couleur de l'espoir, voit les oiseaux s'éveiller et permet l'évasion, la rédemption.
Fuir. C'est tout ce qu'il reste à Coyle après la mort involontaire de l'héritier du maître. Echapper à la vengeance et à la brutalité de Faller (« un sourire figé dans ses yeux glacials ») et Macken lancés à sa poursuite, gorgés de haine (« Ta femme, je l'ouvrirai en deux pour lui arracher le fruit de ses entrailles et je la remplirai de ma propre semence »), abandonner sa femme Sarah et sa petite fille, se cacher dans les bas-fonds de Derry, craindre le froid mordant et l'humidité (« un picotement dans sa poitrine, un accès de toux »), et partir aussi loin qu'il est encore possible.
Gagner le Nouveau Monde, survivre à la traversée éprouvante de plusieurs semaines sur le Murmod, échapper au manque d'hygiène, à la fatigue, au Typhus, à la tempête (« les flots, torturés par des mains invisibles »), lutter contre la faim, accepter la puanteur et la saleté et enfin résister aux terribles conditions de travail des pionniers du chemin de fer (« ce labeur conviendrait mieux à des bêtes qu'à des hommes »).
Là, la poussière a remplacé la grisaille et la pluie, le soleil brûle (« son feu ravage leur chair, leur peau se fendille comme le lit d'un cours d'eau tari »), les pieds ne s'enfoncent plus dans la boue, mais sont restés lourds sur le sol qui s'effrite.
Mais sans jamais pouvoir réellement échapper à ses poursuivants, (la chasse à l'homme est sans répit), ni oublier sa famille restée en Irlande, Coyle avance, obstiné et tourmenté, las, accablé par la chaleur, aveuglé par la poussière, encerclé par le Choléra, condamné dans son périple, pourtant épique que le lecteur suitcomme s'il était le spectateur d'un film sur la conquête de l'Ouest.
Véritable ode à la nature, ce roman, à la fois très visuel et poétique, tour à tour réalisteet tragique, puis maritime, ressemble aussi à un classique de l'ouest américain et revêt une couleur plus métaphysique, par moments, exprimée dans une langue unique et profondément évocatrice, très littéraire et belle,dont le lecteur s'imprègne avecbonheur.