Vida web est dédié à la place des femmes dans les arts littéraires. Sur l'année 2010, son étude a porté sur la répartition hommes/femmes des critiques littéraires de grandes revues et suppléments spécialisés, et sur la répartition hommes/femmes des auteurs ayant vu leurs ouvrages critiqués dans ces revues.
Au New Yorker, par exemple, 79 % des critiques sont des hommes, et 80 % des livres critiqués sont écrits par des hommes. Et si le Boston Review emploie 42 % de femmes, les colonnes du journal sont dédiées à 75 % à des hommes. Ce dernier exemple permettrait d'imaginer qu'il n'y a pas de corrélation entre le sexe des critiques et celui des auteurs critiqués.
Au Guardian, l'éditrice Lisa Allardice s'est dite « déprimée, mais guère surprise par l'enquête de Vida ». Elle ajoute : « Il semble que ces publications aient la meilleure réputation intellectuelle et soient aussi les plus offensantes. Ce n'est pas normal ».
Le cas français
En France, la presse chronique en majorité des ouvrages rédigés par des hommes. Et si les femmes sont aussi mal représentées dans le palmarès des livres les plus critiqués et chroniqués, ce serait, selon le site Bibliobs, parce que les critiques littéraires seraient essentiellement... des hommes. Ça se tient.
En effet, dans la liste des auteurs les plus chroniqués par la presse depuis juin 2011 publiée par Babelio, deux femmes occupent le top 5 : Carole Martinez pour Du domaine des murmures et Véronique Ovaldé pour Des Vies d'oiseaux. Mais dans cette liste de cinquante ouvrages, seuls 20% ont été écrits par des femmes. Bibliobs note cependant que si l'on regarde la liste des livres les plus critiqués par les utilisateurs du site et non plus par des critiques littéraires, la différence est moins importante.
Sexisme de rédacteurs en chef, de chroniqueurs, mais aussi d'éditeurs. Une autre forme de sexisme est aujourd'hui à l'oeuvre, notamment dans le marketing des livres édités. Nous avions parlé, il ya quelques temps de cela, d'une auteure qui avait quitté son éditeur parce que le troisième livre qu'elle y publiait était présenté de façon sexiste (voir notre actualitté).
La littérature jeunesse, le pré carré des auteures
Clémentine Beauvais, auteure de livre pour enfants et doctorante à l'université de Cambridge, a mené son enquête. Parmi les auteurs de livres pour enfants, les deux tiers seraient des femmes. Et pourtant, les prix de littérature jeunesse française les plus prestigieux sont attribués en majorité à des hommes.
Le Prix Sorcières aurait ainsi été attribué à presque deux fois plus d'hommes que de femmes. Le Prix Baobab aurait été attribué en tout à trois fois plus d'hommes que de femmes... sachant qu'une seule femme l'aurait remporté entre 2000 et 2008. « Pour expliquer cela, du moins en partie, il est important de savoir qu'historiquement, la littérature jeunesse est l'apanage des femmes. Considérée pendant deux siècles comme un outil éducatif, la littérature jeunesse est restée longtemps une littérature féminine, sous-estimée par les hommes », explique-t-elle.
Sexisme systémique
Erin Belieu, vice-présidente de Vida Statistics, estime pour sa part que le sexisme s'opère de façon systémique dans ce club en majorité composé d'hommes. « Un tel écart entre les taux de publication montre qu'une force extérieure est en marche, au-delà de l'idée de l'éditeur de ce qui est "bon" et "pas si bon". (...) Nous vivons dans un monde où les préjugés liés au genre sont incrustés dans presque tous les aspects de notre vie - alors pourquoi le monde littéraire serait-il différent du reste du monde sur sa façon de voir et valoriser les femmes? Il ne l'est pas. Aucune surprise ».
L'éditeur du Time Literary Supplement, Peter Stothard, se veut beau joueur. Pas question de parler de discrimination à l'embauche, il souhaiterait même que plus de femmes proposent leurs talents comme critiques ou comme auteures. Il fustige l'idée d'un monde contrôlé par les hommes, prédominantes dans ce genre de débat : « Ca finit toujours par donner l'impression qu'il y a un homme quelque part dans un beau fauteuil en cuir dont la moitié du temps est dédié au refoulement de femmes critiques, ce qui est complètement aberrant ».
Pas de surenchère dans le préjugé...