Clinton, État de New York. La veille de son exécution, l’homme à l’origine du crime le plus célèbre du 20e siècle était en paix. « Tout ce que j’ai fait, j’espère l’avoir fait comme les hommes me l’auraient fait faire. Je sais que je suis bon avec Dieu, et c’est la chose la plus importante », écrivit Chester Gillette dans la pénultième entrée de son journal intime.
Le jeune Gillette a été accusé du meurtre de sa compagne enceinte au lac Adirondack et condamné à mourir sur la chaise électrique après un procès à sensation qui fit les gros titres. Son nom n’est peut-être pas familier pour la plupart des américains, cependant beaucoup connaissent son histoire à travers le roman classique de Theodore Dreiser « An American Tragedy », mais aussi le film oscarisé de 1951 « Une place au soleil ». Les deux œuvres s’inspirant librement de la saga de Gillette.
À l’approche du 100e anniversaire de son exécution, l'Université de Hamilton a publié « Le journal intime de prison et les lettres de Chester Gillette, » un livre qui révèle les pensées intimes du condamné de 25 ans alors qu’il attendait son exécution dans la prison d’État Auburn pour le meurtre de Grace Brown. Le journal intime et les lettres ont été donnés l'année dernière à l'université du nord de l’État de New York par la grande nièce de Gillette, Marlynn McWade-Murray.
Une confession troublante
Les écrits de Gillette n'offrent ni une admission de culpabilité explicite ni une affirmation claire d'innocence, mais ils fournissent un aperçu du personnage qu’était Gillette et sa métamorphose en prison, partant d'un joyeux, juvénile mâcheur de chewing-gum pour se diriger vers un adulte replié sur lui-même, compatissant et religieux, déclarèrent les corédacteurs Jack Sherman et Craig Brandon.
« Jack et moi avons été étonnés de trouver là une personne si différente : une personne mûre avec un sens de l'humour, un esprit curieux, un rêveur, quelqu'un qui a des pensées profondes, » déclara Brandon, qui a effectué des recherches sur le sujet pendant plus de 20 ans et écrit « Murder in the Adirondacks: An American Tragedy Revisited » et « Grace Brown's Love Letters.»
« C'est la transformation d'une personne, » a dit Sherman, un juge du comté qui a étudié et écrit sur ce sujet pendant plus de 30 années. « Ce sont les pensées d'un homme dans le couloir de la mort et qui réalise petit à petit l’arrivée imminente de son exécution. »
Une nouvelle réalité
L'histoire d'amour tragique a tenu le public en haleine durant plus qu'un siècle. Brown, une fille de ferme, a rencontré Gillette dans une usine de jupes possédée par son oncle. Gillette était le fils de missionnaires de l’Armée du Salut, mais l'histoire le dépeint comme un arriviste indolent. Après une brève idylle, Brown est tombée enceinte. Dans une série de lettres émouvantes, Brown implora le réticent Gillette de l'épouser. Les réponses de ce dernier étaient froides et désinvoltes.
En juillet 1906, le couple partit en excursion dans les montagnes d'Adirondack ; Brown attendant toujours une demande en mariage. Au lieu de cela, Gillette l'a convia à un tour de bateau un après-midi sur le lac Big Moose, où les procureurs ont dit qu'il l'a frappée à la tête avec une raquette de tennis, provoquant sa chute et sa noyade dans le lac. Il n'y a eu aucun témoin oculaire, mais Gillette a été condamné sur la base de preuves indirectes, en dépit de ses revendications selon lesquelles Brown s'était noyée accidentellement, qu’il avait paniqué et s'était enfui.
Le roman qui souffle sur les braises
L'histoire aurait dû retomber dans l’oubli, mais c’était sans compter sur le roman de Dreiser en 1925 puis le film qui remporta six Academy Awards. L'histoire fut également relatée de nouveau à la TV, dans des pièces de théâtre, des chansons, des livres de crimes et en 2006 sur scène par le Metropolitan Opera. Gillette est entré à la prison d’État d’Auburn le 12 décembre 1906, mais ne commença pas son journal avant le 18 septembre 1907. La dernière inscription s’est faite plusieurs heures avant son exécution à 6H14 du matin, le 30 mars 1908.
Gillette lisait beaucoup en prison et beaucoup d'inscriptions dans son journal contiennent de brèves, mais incisives revues de presse. Il y a une section remplie de citations préférées de Socrate, de Robert Browning, de Richard Hugo et d'autres. Il a également développé un penchant pour les livres de voyage, a écrit sur son désir de visiter l'Égypte et a rêvé de monter en montgolfière.
« J’aimerai tellement faire un voyage en ballon et tout particulièrement à bord des longs. J'ai désiré cela, même lorsque j'étais enfant, il y a longtemps, durant les foires de la région ou toutes les fois où j'ai vu un ballon en ascension. Ce serait quelque chose de nouveau - une nouvelle expérience - et qui me botterai vraiment, » a-t-il écrit le 24 mars.
Sherman déclara que le journal intime était exempt de toute amertume, ou de protestations attendues de la part d’un prisonnier au sujet de la nourriture, de mauvais traitement ou des conditions d’hygiène. Il y a juste une brève plainte au sujet du langage injurieux d'un garde.
Lettres à mes proches
Il n’y a pas non plus de référence à son propre cas. Il y a seulement une mention faite au sujet de Brown, a déclaré Brandon. Les écrivains pensent que Gillette écrivait pour sa famille et ne voulait pas que leurs dernières pensées à son sujet portent sur un meurtre. Mais il savait aussi que des employés de la prison pourraient le lire à tout moment et il n'a pas voulu fournir de faits incriminants que les procureurs pourraient employer contre lui s'il devait obtenir un second procès.
Jusqu'à ce que son appel final ait été rejeté, les écritures de Gillette montrent qu'il a espéré qu’on lui accorde au moins un nouveau procès, a déclaré Sherman. Après cela, il était convaincu que la campagne de sa famille pour gagner sa clémence l’emporterait.
« C'est seulement durant les deux dernières semaines que vous le voyez prendre la mort en main. Au moins sur le papier, il est assez courageux à ce sujet, » déclara Sherman. Brandon pense que la conversion religieuse de Gillette était simplement pour sauver les apparences. Sherman, quant à lui, voit la conversion religieuse comme véritable. « Ce que j'ai trouvé le plus impressionnant c’est comment il en est finalement arrivé à définir son amour et son appréciation pour sa famille après avoir passé la majeure partie de sa vie à essayer de lui échapper, » Sherman a dit.
La dernière lettre de Gillette à sa sœur Hazel, écrite la veille de son exécution, est extrêmement émouvante, a déclaré Sherman. « J’espère avoir été un meilleur frère et tout ce que frère veut dire, » a écrit Gillette. « Tu as été tout ce qu'une sœur puisse être et même plus que je ne le mérite. Bien que je n'ai pas toujours vécu comme j’aurai du, j’essayerai au moins de mourir comme je le devrai. »