Octobre 1854. Plongé dans le souvenir de sa dispute de la veille au soir avec son frère, Aïmane a laissé le doux mouvement des flots emmener son petit bateau loin des côtes marocaines et s'il a pêché quelques sardines, c'est plus pour oublier cette dispute que par réelle nécessité.
Surgi de nulle part, un immense voilier file à quelques encâblures, toutes voiles déchirées, haubans cassés, visiblement à la dérive, seulement poussé par quelque souffle du vent qui s'engouffre dans des morceaux de toiles encore accrochés aux mâts.
Alerté par des cris venus du bateau, Aïmane s'empresse de l'accoster et découvre l'horreur d'un équipage massacré au milieu duquel un nouveau-né hurle à côté de sa mère sans vie, seul rescapé du carnage.
Dans la cabine, Aïmane découvre aussi le corps de Bioulbex, un explorateur français rencontré quinze ans plus tôt, qui lui a appris à nager et avec lequel une drôle d'amitié s'était faite jour par l'intermédiaire de dessins faisant fi de la barrière des langues.
S'emparant du carnet que les doigts morts de Bioulbex emprisonnent et du nouveau-né qu'il emmaillote dans un bout de tissu, Aïmane quitte avec précipitation le bateau noyé de sang et rentre à Oualida.
Rassasié d'un peu de lait de chèvre, l'enfant s'est endormi et quand il ouvre ses grands yeux magnifiques, Aïmane est là, plein d'attention et de tendresse pour celui qui ne peut être que le fils de son ami.
Automne 2014, au milieu des bois, Archibald et son ami La Serpe, fusil en bandoulière, tentent de suivre la trace d'un fugitif dangereux que recherchent aussi les gendarmes. Mais Archibald et La Serpe ne veulent rien de plus que mener à bien leur traque avant qui que ce soit d'autre. Alors, silencieux et complices, ils courent derrière les maigres empreintes laissées par leur proie.
Tout au long de sa course, Archibald pense à Aupwean, le fils de son frère Andoni, avec lequel il partage un amour immodéré des rouleaux de l'océan sur lesquels ils s'élancent sur leurs planches. Aupwean, dont la fugue, en compagnie de son chien Petit Loup, s'est terminée à l'hôpital.
Il faudra tout un livre pour que comble, petit à petit, tout le temps écoulé entre la découverte d'Aïmane et la course folle d'Archibald.
Les longues heures de patience des surfeurs à attendre que l'océan leur offre ses meilleurs rouleaux. L'inimitié ancestrale de deux familles d'un petit village des Landes. Arthur Rimbaud et Alphonse Allais. La Commune de Paris et le Comité Central de la Garde Nationale. Autant de petites pierres rassemblées avec minutie pour construire l'édifice dont Bioulbex est le point de départ et le point d'arrivée. Autant de morceaux de vies pour bâtir une ambiance et une généalogie des Auriaba venus planter leurs racines dans les Landes.
Mêlant avec brio l'Histoire et le roman, Jérôme LAFARGUE déploie un texte au confluent du rêve, de la légende et de la réalité où ses personnages, écologistes humanistes et un peu misanthropes sans se nommer tels, tentent une vie en symbiose avec leur environnement dans un esprit qui donne parfois à penser au chamanisme des indiens d'Amérique par cette immersion totale dans un milieu dont ils sont des membres fusionnels. Une vie en dehors des schémas conventionnels.
L'imaginaire et le réel se croisent et se décroisent dans une nouvelle réalité onirique dans laquelle communient l'oncle et le neveu par-delà toutes les logiques, dans un territoire où la famille Auriaba navigue hors du temps.
Que viennent faire Alphonse Allais et Arthur Rimbaud dans cette fiction ? Il faut le lire pour le découvrir ! Je vous promets une merveilleuse découverte portée par un texte souple et enchanteur qui roule sur une langue savoureuse et superbement maniée.
Une mention toute particulière pour la mise en page des chapitres relatifs à la traque, menée par Archibald et La Serpe, identifiés de manière spécifique par un fusil à lunette alors que les autres restent sans aucune mention en amont du texte : j'ai trouvé cela très original et évocateur.
Si, de plus, comme moi, vous vibrez à la seule évocation du loup, vous devriez mordre dans cette histoire magique et magnifique à pleines dents.