manque à tous. Aussi lorsqu'un nouveau roman de Mankell paraît en France, même sans commissaire, l'attirance est immédiate et la lecture, une évidence. Mais de plus en plus souvent maintenant, sitôt le livre refermé, une pointe de déception s'installe. Le plaisir n'est plus le même. Si le charme opère, ça et là, un vague sentiment de désintérêt émerge aussi, une certaine lassitude imprègne le lecteur, au fil des pages et lui fait regretter plus amèrement encore son commissaire « hors-service » mais décidemment irremplaçable.
Et pourtant, Ce paradis trompeur avait de quoi séduire et envoûter, susciter l'imaginaire du lecteur et l'emmener très loin, bien au-delà des murs gris du commissariat d'Ystad, jusque sur les côtes africaines du Mozambique, encore appelé Afrique orientale portugaise au début du XXème siècle.
Henning Mankell est un admirable conteur et la 1ère partie de ce roman l'atteste sans difficulté. La lecture est un plaisir, se déploie avec bonheur, file sans obstacle, invite au voyage et à la découverte.
Lorsque l'héroïne, Hanna embarque à bord du Lovisa, elle a juste 18 ans, a quitté quelques mois plus tôt sa famille, tout au nord de la Suède. Fuyant la pauvreté et la famine, recueillie par Jonathan Forsman, un armateur à Sunsdvall, elle ignore alors tout de la mer. Mais le lecteur est déjà disposé à la suivre jusqu'en Australie, à affronter les violences de l'océan, à partager la vie de l'équipage.
Une histoire qui débute comme une saga nordique passionnante (on pense même à Moberg). Le lecteur monte à bord avec enthousiasme, partage émotions et tragédies, emporté par le talent de l'écrivain. Puis lorsque la jeune femme, consumée par le chagrin, douloureusement éprouvée par le destin, fait escale en Afrique, à Lourenço Marques (Maputo aujourd'hui) et échappe à la vigilance de l'équipage, le lecteur la suit sans effort. Lorsqu'elle tombe malade puis finit par demeurer dans cette ville, le lecteur n'hésite pas, non plus, à s'arrêter là, dans ce pays méconnu, qui ne ressemble en rien pourtant à un paradis (La ville est en proie à des crues importantes, la moiteur est parfois insoutenable, la chaleur étouffante les serpents rôdent, les sauterelles arrivent par nuées…), à l'accompagner et à s'interroger à ses côtés sur ce lieu qu'elle a du mal à comprendre, alors sous le jour d'un fort pouvoir colonial et ségrégationniste (qu'elle ne condamne ni ne défend).
Quand ensuite elle se retrouve assez rapidement à la tête d'un bordel florissant et fréquenté par l'ensemble d'une population dirigeante, de manière progressive alors, l'intérêt pour l'héroïne commence peu à peu à faiblir. Sans trop comprendre pourquoi, le lecteur tourne les pages moins vite, s'ennuie un peu par moments alors que nombre d'événements et d'actions se déroulent pourtant sous ses yeux. Hanna lui échappe, semble s'éloigner, distante, presque vague, par moments, « désœuvrée, paresseuse, toujours à agiter un éventail ». Le lecteur se détache, le charme semble ne plus vouloir opérer. Elle touche moins, malgré sa solitude et sa peur, semble moins réelle au fur et à mesure de ses transformations (trop rapides), de son africanisation et devient moins convaincante, comme si Mankell avait hâte d'en finir avec elle. Son combat final, pourtant profondément humaniste et noble, n'émeut pas vraiment le lecteur (qui n'y croit pas trop) et la fin, mystérieuse, inaboutie lui procure frustration et déception ; même si l'auteur apporte quelques justifications lors de sa postface. Une partie moins stimulante donc, où le lecteur a l'impression de tourner en rond.
Il n'en reste pas moins, les thèmes chers à Mankell, à savoir la dénonciation des injustices, du racisme, le combat contre l'esclavagisme, l'intolérance, alimentent ce nouveau récit, expriment avec justesse la difficulté d'intégration dans un pays culturellement éloigné, la fascination et la peur qu'il peut simultanément engendrer, notamment par l'ambivalence des sentiments d'Hanna envers les femmes noires qu'elles dirigent.
Parfois odieuse, parfois sensible et douce, son attitude est tout aussi controversée à l'égard des Blancs. Une femme en décalage, isolée, (dont l'être le plus proche est Carlos, un singe) tiraillée entre son impossibilité à gagner la confiance des Noirs (malgré sa richesse et sa générosité) qui restent soumis et méfiants et à se sentir heureuse parmi les Blancs.
Avec force et réalisme, l'auteur se montre précis à décrire l'ambiance coloniale, les tensions liées à cette époque et renforce davantage encore l'image de l'écrivain engagé dans la défense des plus faibles et des populations opprimées. Mais sans surprise.