Bowker Market Research, le marché de l'autoédition représenterait 12% du volume numérique disponible. Un chiffre pouvant grimper jusqu'à 20 % sur certaines tranches. L' émergence s'explique naturellement par la rapidité de mise en ligne pour l'auteur et l'accès instantané des lecteurs à des titres à très petit prix. Au point que les grands distributeurs ont mis en place leur propre service d'aide à l'auto publication.
Erink_photography, CC BY SA
Et cela n'est pas sans effets sur les réseaux sociaux. «Achetez mon livre », « J'ai besoin d'aide », « soutenez les indépendants du livre» : sans promotion par des professionnels tiers, les auteurs utilisent massivement les outils à leur portée pour faire connaître leurs écrits. Trop, au point que la pub est considérée par certains comme du spam.
Ainsi des hashtags comme #buymybook sur Twitter donnent un aperçu de la quantité d'auteurs qui récriminent contre l'édition traditionnelle, encouragent l'originalité des écrivains hors du circuit et assurent de la qualité de leur production. Hélas, si l'autoédition assure de nouvelles parts de marché aux géants de l'e-commerce comme Kindle Direct Publishing, la profusion sans contrôle et la médiocrité des titres est largement pointée du doigt.
Please help out a fellow human. After a lifetime of abuse #iamfree but #ineedhelp#buymybook#itgetsbetterhttp://t.co/iVrWGMViym
— iLOLiRiNA (@iLOLiRiNA) June 14, 2013
Avec des succès éditoriaux comme 50 nuances de Grey, la course au succès par le web semble irrésistible. Néanmoins derrière les quelques réussites, les acteurs traditionnels vilipendent un marché qui publie tout et n'importe quoi. « L'écrasante majorité des livres autoédités est épouvantable - au-delà des mots - et n'apporte rien », estime Andrew Franklin, fondateur et responsable de Profile Books. Et d'appuyer la charge en évoquant le silence médiatique de leur parution, ce qui se traduit par une expérience simplement « frustrante » pour l'auteur malheureux.
Mais également pénible pour le lecteur, quand les services d'autoéditions dotent d'un numéro d'ISBN et une entrée aux catalogues des géants du commerce culturel en ligne : le tri se fait plus complexe encore à défaut de filtre et de sensibilité d'un l'éditeur apprécié.
« L'écrasante majorité des livres autoédités est épouvantable
- au-delà des mots - et n'apporte rien »
Andrew Franklin, fondateur et responsable de Profile Books
Sur le site Smashwords, vivement critiqué par Franklin pour l'absence totale de sélection, rares sont les nouveautés à dépasser les 4$. Sur une cinquantaine de titres publiés ces deux derniers jours, un quart seulement s'échelonne entre 4$ et 20$. Ce qui pose la question d'un impact économique pour le marché du compte d'éditeur et sa qualité intrinsèque à vil prix – entre 0,90$ et 2$ pour une bonne part. Sur son site, Kristen Lamb, auteur de livres qui mêlent travaux d'écriture et impact des nouveaux médias, l'écrivaine liste les erreurs courantes des autoédités.
Et parmi les plus répandues, celle qui consiste à écrire un livre, et axer ses efforts sur sa diffusion au détriment de l'écriture d'autres projets. Ce début de semaine, on apprenait que le très connecté Neil Gaiman débranchait la prise 2.0 pour favoriser l'inspiration. Le papa de Coraline confesse être « trop dépendant à mon smartphone, à Twitter », y voir « une symbiose » en temps réel qui empêche la concentration sur l'écriture. L'auteur et scénariste confie avoir besoin « de vraiment s'ennuyer » pour créer.
Aux antipodes de cette mise à l'écart du monde inspiratrice, l'éditeur mixte de fictions autoéditées et littérature académique Editing-Writing rappelle l'importance du contact humain. Malgré l'efficacité narrative et la richesse grammaticale d'un texte, l'absence d'échange et de retour sur les sensations de lecteurs sensibilisés à ces problématiques relève du quitte ou double. Dans l'édition plus qu'ailleurs, la première impression est décisive. Ce qui explique la recherche d'une communauté en ligne de lecteurs-promoteurs. Et les stratégies d'achat de fans et lectures factices sur des réseaux.
Faire sa place dans les écosystèmes de lecture sociale, professionnaliser les services d'autoédition, les géants comme Amazon ont pris conscience de l'enjeu, d'autant que la manne financière est là. Au business lucratif de prestataire de service de publication est venu s'adjoindre des surprises éditoriales. Les amours SM de Grey, on l'a dit, mais pas seulement. Sur ces 100 meilleures ventes ebooks pour sa boutique britannique, le leader de l'e-commerce annonçait en début d'année que 15 étaient des produits KDP.
Avec des succès qui dépassent les 100.000 copies écoulées, comme le rappelle Forbes, comment ne pas comparer les succès de l'autoédition au marché traditionnel ? D'autant plus quand les auteurs émergents signent dans la foulée des contrats dans des maisons historiques. Plus encore, quand ces auteurs dépoussièrent les genres tombés en désuétudes comme les romances et répondent à une vraie demande. À qualité littéraire contestable, on peut se demander s'ils ne refaçonnent pas le modèle du « roman de gare ». La tendance de l'auto-édition fiction au kilomètre le laisse penser.