V. O : comme dirait Aragon, je pense que "il n'y a pas d'amour heureux mais c'est notre amour à tous deux".
GP : l'amour est un formidable sujet pour l'écrivain, en perpétuelle quête de cet amour, qui jette des personnages dans des tourments effroyables.
KP : Gisèle, vous portez parfois un drôle de regard sur le masculin ?
GP : Je crée livre après livre le personnage masculin, mais je n'ai véritablement réussi à lui donner forme que dans une seule nouvelle. Dans mes autres ouvrages, les hommes sont des personnages secondaires qui ont fait beaucoup de mal (inceste, violence...). Reste que les femmes, dans mes livres, sont souvent les mères de ces hommes, les ont éduqué avec leur part de responsabilité dans ce qu'ils deviennent. Ainsi les femmes, souvent victimes, peuvent être parfois aussi monstrueuses que les hommes.
©Adrien Aszerman
K.P : Quel est votre regard sur l'amour lorsqu'il prend la couleur du tourment ?
V.O : Ce qui vacille dans le couple c'est aussi quand on vacille à l'intérieur de soi. Que peut-on donner quand on va mal ?
CL : Je n'ai pas une conception de l'amour très masculine. Quand on connaît un manque affectif jeune, on peut prendre deux voies : aller vers quelque chose qui rend amer, aigri, , ou ouvrir ses bras et prendre l'amour à bras le coeur en disant : c'est ce que je veux. J'ai pris le parti de cette seconde route, en considérant les choses qui viennent du coeur pour guider ma vie.
On ne peut pas empêcher l'amour, comme on peut rencontrer la femme de sa vie au coin d'une rue. On peut aimer passionnément une femme qui ne vous aime pas et en être malheureux, mais on peut aussi trouver l'osmose. Beaucoup de gens pensent aimer, mais quand on aime on ne pense pas : on en est sûr.
L'amour au fond est un conte de fée. Et, dans tous les contes de fée la chose principale c'est l'amour. J'ai envie de croire ça, croire que ce soit possible. Nous avons tous des moments où il faut faire des choix décisifs. La vie n'est que des prises de risque pour surmonter ses peurs, pour évoluer, pour grandir. Même si faire des choix décisifs peut faire peur.
VO : Je suis d'accord sur idée que l'amour est un risque à prendre. Mais je pense que le conte de fée a tué l'amour en éduquant les petites filles dans un moule de soumission, où l'épanouissement se trouvait dans les tâches ménagères bien faites.
CL : Je suis complètement d'accord exprimé comme ça. J'oublie les paramètres de ça et c'est bien que vous me le rappeliez, mais j'assimile les contes de fée à ce que je pense personnellement, pas à l'asservissement de la femme.
VO : Parce que vous êtes un homme
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CL : Non, parce que je vois Cendrillon avant tout comme quelqu'un qui n'a rien et garde l'espoir que les choses vont s'arranger. Qu'elle est tellement basse qu'il va bien falloir qu'une bonne fée se penche sur elle pour la sauver dans ce contexte, et lui donner dix fois plus que ce qu'elle a eu. Mais je suis d'accord sur idée qu'un conte de fée qui a un certain âge suggère aux femmes d'être une bonne petite fille et de bien faire le ménage. Reste qu'aujourd'hui la situation s'inverse, même si elle aurait dû s'inverser bien avant. Les hommes ont peur de la femme qui donne la vie et a des capacités d'organisation mille fois supérieures.
S.S : C'est un luxe d'être femme écrivain, après tout le temps où les hommes ont monopolisé l'écriture. J'ai vécu 7 ans en France et j'ai toujours été très étonnée par la société très masculine et très macho de la France. J'ai grandi en Islande, qui n'est pas non plus un modèle pour les femmes, mais c'est encore très différent. Les femmes islandaises sont beaucoup plus masculines et on a beaucoup d'autres possibilités.
KP : Nous avons un débat sur la place du féminin... mais quelle place de l'amour ?
GP : En Guadeloupe, les femmes ont hérité d'une histoire douleureuse, de l'histoire de l'esclavage, entre le monde des blancs et des noirs, qui ont parfois porté les enfants des maîtres, etc. Elles ont été à côté de ces hommes et je pense que c'est un travail. J'ai mené une enquête avec des chercheuses en Guadeloupe et nous avons abouti à la conclusion que les femmes ont hérité de comportements directement liés à l'esclavage et ont dû gagner leur place au sein de la famille, bâtir des familles où l'homme était souvent absent, parti. Je veux bien parler de l'amour, de ces hommes qui veulent réparer les blessures qui résultent de cette histoire.
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KP @ CL : Pourquoi avoir choisi de publier plutôt que de réaliser un nouveau film sur la base de vos écrits ?
CL : En tant qu'écrivain on s'expose de manière pudique. La pudeur, en fin de compte, n'est pas de prétendre à être quelqu'un d'autre mais bien de n'être que soi même et le projeter tel qu'on l'est.
La directrice des éditions Plon m'a demandé 20 pages sur cette histoire que j'avait en tête depuis 20 ans. Elle m'a dit : j'aime ton style, simple, direct. Je n'ai pas écrit pour me prouver quelque chose . Le personnage est un homme à la dérive, un peu looser, poisson hors d l'eau, à qui la vie va donner une deuxième chance.
KP : Comment l'écriture renouvelle l'expression du sentiment amoureux ?
GP : Pour finir sur une note positive et pour rejoindre Christophe Lambert, on se relève toujours d'un échec amoureux, d'un combat, d'une perte, d'une blessure d'amour.
VO : "Rien de nouveau sous le soleil" dit la bible. Ca tient beaucoup à l'oreille pour moi, en entendant le rythme de l'amour, de la façon dont on ne s'entend pas ou dont on peut s'entendre. Je suis attachée au détail de l'amour.
CL : L'écriture m'est venue spontanément et ce que je raconte dans le livre sors de moi avec plus de plaisir intense qu'avec de la difficulté. Le renouvellement vient au travers de ce que l'on comprend soi-même de l'amour. Après, est-ce que les autres adhèrent, c'est une autre histoire.
S.S. : j'ai toujours voulu trouver les nouvelles méthodes. Je me suis pour cela servi de la poésie, en commençant comme poète.