Depuis hier, je pense à "Un cœur simple" (dans les trois contes) de Flaubert, un des textes littéraires les plus beaux de la littérature. Des mots simples, des phrases courtes. Flaubert ne livre aucune analyse, ne raisonne pas: il raconte. Et devant nous défile la vie de cette femme qui n'existe que par les autres, sa maîtresse, et ses petits maîtres, des enfants qu'elle aime par dessus tout.
J'y pense, car je reviens de Besançon où j'ai assisté à la première communion de ma nièce. Dans le conte de Flaubert, il y a ce passage :
Pendant toute la messe, elle éprouva une angoisse. M. Bourais lui cachait un côté du chœur ; mais juste en face, le troupeau des vierges portant des couronnes blanches par-dessus leurs voiles abaissés formait comme un champ de neige ; et elle reconnaissait de loin la chère petite à son cou plus mignon et son attitude recueillie. La cloche tinta. Les têtes se courbèrent ; il y eut un silence. Aux éclats de l'orgue, les chantres et la foule entonnèrent l'Agnus Dei ; puis le défilé des garçons commença ; et, après eux, les filles se levèrent. Pas à pas, et les mains jointes, elles allaient vers l'autel tout illuminé, s'agenouillaient sur la première marche, recevaient l'hostie successivement, et dans le même ordre revenaient à leurs prie-Dieu. Quand ce fut le tour de Virginie, Félicité se pencha pour la voir ; et, avec l'imagination que donnent les vraies tendresses, il lui sembla qu'elle était elle-même cette enfant ; sa figure devenait la sienne, sa robe l'habillait, son coeur lui battait dans la poitrine ; au moment d'ouvrir la bouche, en fermant les paupières, elle manqua s'évanouir.
Voilà ce que pense Félicité en regardant sa petite maîtresse recevoir l'eucharistie. Qui, parmi les familles d'hier, à Besançon, pensait comme Félicité? Personne sans doute, et moi non plus.
Il faisait beau, hier, sur Besançon, ville de province. Autour de la cathédrale, les rues sont bordées de murs d'où tombent par dessus les parapets des coulées de fleurs. Une lumière blanche et fraîche sur le gris des pierres; et des parfums de verdure montaient dans un ciel bleu "comme dans un dessin d'enfant".
C'est toujours agréable, ces déplacements d'un weekend pour un mariage, une communion. On se retrouve dans un endroit inconnu, dans un petit hôtel, avec un parfum de vacances qui flotte dans l'air, d'autant plus qu'il y a souvent du soleil.
On s'attendrit, on pense à sa première communion, étonné de se retrouver désormais parmi les adultes. Enfant, j'ai marché comme ma nièce, sur l'allée centrale, sous la voûte des pierres et le regard des familles. On est rarement le héros des fêtes. Communion, mariage, et puis enterrement...
Dans l'église, beaucoup de monde, beaucoup de bruits. Peu d'attention pendant les prières. Les femmes se regardaient entre elles. Je me souviens d'une blonde en tailleur bleu, le cheveu soyeux, lisse comme dans une publicité de l'Oréal, qui avait pour l'assemblée un éternel sourire de satisfaction, et faisait des petits signes aux amies qui passaient. Elle était belle. Pas de problème, jamais. Les enfants en bermuda, le thé l'après-midi, ou bien cadre, et la réputation d'une merveilleuse femme qui arrive à tout concilier. Autour de moi, un monde qui me semblait paisible, propre, doux...
Mais de sentiments religieux, de ferveur, aucune. Dans "la Maison Tellier", de Maupassant, il y a une scène de première communion à laquelle assistent des prostituées. Bouleversées, elles finissent par pleurer, prier, avec une telle ferveur que le prêtre lui-même est ému.
Là, rien de tel.
Mais soudain, j'ai entendu les voix des vieilles femmes s'élever en tire-bouchon et chanter les cantiques, j'ai senti l'encens, j'ai vu la lumière traverser les vitraux et se poser, multicolore, sur les piliers. Je savais le soleil dehors, le repas de famille qui m'attendait. Un moment, j'avais le sentiment que rien ne changeait.
Ces cérémonies, même si plus aucune Félicité n'y participe, ont cette permanence qui, un court moment, me font croire à l'enfance retrouvée.
Hervé BEL