En cette fin d'après midi de fin du mois de novembre, Macario abandonne sa maison où, retraité, il vit seul avec son ordinateur sur lequel il passe des heures incalculables à surfer, pour prendre le chemin qui traverse la lande et mène au village, là-bas, après l'abribus où plus aucun autocar ne s'arrête jamais.
Une promenade solitaire, cent fois effectuée qui, pourtant, ce jour-là, va prendre des allures de cauchemar quand, posant malencontreusement le pied dans un trou du chemin, il se tord violemment la cheville gauche et se retrouve, là, cloué sur le banc de l'abribus, sans pouvoir seulement refaire un pas vers son chez lui ou alerter quiconque, la batterie de son téléphone, au fond de sa poche, étant à plat.
Ironie du sort, venant du village où il a réussi à placer quelques contrats d'assurance vie dans la journée, Ismaël T. se promène en sens inverse de Macario sur le chemin et se tord identiquement la cheville (mais lui, c'est la droite) sur une pierre du chemin et se retrouve, lui-aussi, bloqué sur place par la douleur.
Entre les deux hommes que séparent la nuit, un coude du chemin et des oliviers qui les empêchent de se voir, s'engage alors une conversation que rythment successivement les croassements d'un corbeau solitaire posé sur l'abribus, les hululements d'une chouette qui les écoute depuis un proche olivier où elle est perchée, le chant de deux grillons qui, alternativement, se racontent des histoires qui échappent aux deux blessés et le jeu de cache-cache que fait la pleine lune avec les nuages jouant avec les deux hommes qui imaginent autour d'eux la présence de loups-garous entre deux morceaux de conversations éthérées.
a créé une situation impossible pour ces deux hommes qui vont devoir prendre patience sur ce chemin où personne ne passe plus en attendant que des secours improbables leur soient apportés.
Proche et éloignés, invisibles l'un pour l'autre, les voilà dans des échanges que leur impossibilité de bouger l'un vers l'autre rend totalement surréalistes.
Entre Macario à la culture rendue universelle par sa consommation sans frein d'Internet qu'il restitue grâce à une impressionnante mémorisation et Ismaël qui ne rêve que de sa femme Genovera dont il est fou amoureux depuis le premier jour, les échanges volent sur la fidélité des femmes, la lycanthropie, la poésie et mille autres sujets destinés à leur faire prendre leur mal en patience.
Et, à coup de vérités assénées sans modération (« dans ce monde, il ne se passe rien qui n'ait une signification secrète », « les roses auraient le même parfum si elles s'appelaient citrouilles », « pour connaître un homme, il vaut mieux l'entendre que le voir », « tous les gens de droite, plus encore s'ils sont gros, quand ils rient, rient en o », … et tant d'autres encore) et ponctuées par les « croa, croa, croa » du corbeau qui semble approuver certains de ces échanges ou par les apparitions/disparitions de la lune dont la blancheur éclatante semble ajouter au malaise des deux blessés, un dialogue magique s'établit.
A la croisée de l'ironie, de la folie, de la fiction absurde ou encore du délire, de la peur du surnaturel, de la frayeur associée au noir inconnu, ce huis clos sous les étoiles fait défiler des pans de vie et des questionnements sans réponse qui sont peut être ceux qui nous attendent avant de fermer définitivement les yeux.