Si le nom de l'auteur n'était pas si inhabituel et aussi difficile à retenir pour un lecteur français, c'est certain, il se répandrait déjà sans délai, telle , au-delà des librairies et des bibliothèques, animerait les conversations et retiendrait la critique à l'unanimité ou presque.
En effet, ce roman, par sa valeur universelle, son extrême sensibilité, sa grâce même est un vrai coup de cœur ; imprègne non seulement par son histoire, mais séduit tout autant par ses images, délivre des sensations profondes, entraîne le lecteur dans un état de confort absolu, qu'il ne peut que quitter à regrets. Un bonheur de lecture rare à ne pas laisser filer. Aussi, à défaut de vous souvenir du nom de l'auteur, retenez le titre « Verre et cendres » et ébruitez-le, autant que vous pourrez ; ce livre est un voyage inoubliable dans une Europe éprouvée, puis vers une Amérique de tous les possibles, où l'art, sous toutes ses formes, embellit la vie, atténue les épreuves, sauve du désespoir et du chaos.
Roman en deux temps, aujourd'hui et hier. Amanda, la narratrice (toute en retenue) est l'héritière d'une bague dont elle va rechercher, le temps du livre et avec une grande réserve, l'origine et l'histoire et permettre ainsi au lecteur de découvrir et de partager la vie de Lili, personnage central du roman, femme à la fois exaltée, fragile et meurtrie, passionnée et influente, attachante et captivante.
L'histoire débute en Alsace, à la fin du XIXème siècle, à Mulhouse, à la naissance de Lili. « Ainsi l'enfant fut-elle baptisée Liliane, avec l'orthographe française. Mais au quotidien, on l'appelait par une multitude de surnoms et de diminutifs dans les deux langues de ses parents. » Issue d'un père allemand et d'une mère française, l'enfant grandit au sein d'un milieu bourgeois et d'une ambiance culturelle nuancée, ouverts sur le monde, qui la destine alors, devenant femme, à de plus vastes horizons. Sensible aux paysages, aux couleurs et bruits, aux saveurs qui l'entourent, l'auteur s'attarde à décrire ces sensations, révèle des ambiances empreintes de raffinement et de beauté, attire le lecteur avec enthousiasme dans un contexte historique particulier et mouvementé sans jamais se départir des courants artistiques qui traversent cette première partie du XXème siècle, créant ainsi une atmosphère à la fois réaliste mais toujours harmonieuse, au sein de laquelle le lecteur s'immerge avec bonheur.
Tour à tour, il accompagne Lili, d'abord à Trieste puis à Vienne avec son mari Ernest,( qu'elle épouse « parce qu'elle ne savait pas quoi faire de sa vie ») où elle découvre la psychanalyse et la peinture, « d'une main sûre, elle croquait les clients dans des poses décontractées ou engagés dans des conversations animées », l'ennui également : « Le quotidien n'était pas désagréable, mais avait une régularité qui ne laissait pas beaucoup de place aux improvisations […] Les soirées ne lui posaient pas de problème, c'étaient les journées infiniment longues qui menaçaient de l'étouffer. »
Un deuil brutal met fin à sa relation maritale. Un travail à l'Ambassade de France la sauve du désespoir et de la culpabilité : « Le travail lui occupait l'esprit. Un schéma se dessina pour ses journées, les structurait en heures, minutes et secondes, découpait de petits moreaux de quotidien, lui donnait une raison de se lever le matin, de s'habiller et de prendre soin de son apparence. » Aux côtés d'Adam, Polonais d'origine, elle s'installe à Berlin avant que la menace brune ne les entraîne jusqu'à New-York, dans l'espoir de réaliser leur rêve américain, d'échapper à la guerre qui fait rage en Europe. « Le nouveau pays leur souriait, de toutes ses couronnes dentaires étincelantes, un sourire qui les attirait de plus en plus loin. Les laissait bercer leur rêve, encore et encore. »
Autant de voyages qui la ramèneront toujours à Mulhouse, près des siens ou à Berlin près de son amie juive Charlotte sans jamais oublier Vienne. Une vie semée d'épreuves tragiques qui ne cesseront de façonner Lili, lui permettront, chaque fois, de s'émanciper davantage, de développer ses talents de peintre et d'être, au final, en accord avec la vie qu'elle mène pour devenir une femme libre.
Une vie au sein d'un siècle tourmenté racontée avec passion, sans temps mort, entrecoupée par la quête personnelle d'Amanda, la narratrice, toujours discrète, en retrait par rapport à la personnalité de Lili, comme si elle voulait laisser au lecteur la meilleure place, celle de la découverte. Pas à pas, parfois même avant Amanda, comme s'il était privilégié, le lecteur découvre ainsi des bribes de l'énigme de la bague, perce le mystère à mesure qu'il progresse dans l'histoire, s'enrichit page après page d'une ambiance lumineuse, perçoit également une mélodie, entre frisson et joie, goûte au bonheur comme à la tristesse, vibre d'émotion, partage l'existence de Lili avec une proximité et une intensité inédites et n'a plus qu'un désir, au final, partir sur ses traces, parcourir l'Europe, gagner l'Amérique.
Vraiment, ce roman crée une embellie durable qui se prolonge bien au-delà des 580 pages. En cela il est alors précieux et incontournable. Il ne reste plus maintenant qu'à espérer que la presse culturelle s'en empare et le partage avec le plus grand nombre.