Un vendredi soir, en fin d'après midi, à la Gare du Nord de la Ville-Pays d'un Congo-Zaïre bien énigmatique, Requiem attend Lucien dont le train a du retard. Mais qui pourrait bien s'en étonner dans un pays où le retard est un axiome.
Et si Requiem attend, ce n'est pourtant pas pour les beaux yeux de Lucien, un ami d'ancienne date dont il a partagé puis écarté le passé marxiste depuis bien longtemps, pour reprendre sa liberté. La liberté de faire ce qu'il veut, quand il veut, comme il veut, en s'adonnant, par exemple, à des activités lucratives diverses et certainement un peu avariées. Comme de collectionner de photos compromettantes de ses contemporains à des fins….
Mais aussi de se laisser emporter par le sexe qu'offrent généreusement toutes ces demoiselles, ces canetons, ces serveuses, ces aides-serveuses, ces filles-mères, brefs toutes ces créatures souvent siliconées qui fréquentent le Tram 83, ce bar de toutes les débauches où se côtoient les étudiants et les « creuseurs » de mines, souvent, d'ailleurs, pour s'y échanger des coups, mais aussi les « touristes à but lucratif » ou encore les descendants de la période coloniale.
Lucien, lui, l'intello qui a fui l'Arrière-Pays où certains ne lui voulaient pas que du bien, tente de promener son stylo sur son calepin entre deux sollicitations des habituées du Tram 83 (« Sucer est ma passion. Tu m'aimes ? »…) pour écrire un livre qu'un intermédiaire, Porte de Clignancourt à Paris, lui promet qu'il a tous les bons plans qu'il faut pour le faire éditer.
Une ambiance, ce Tram 83 ! Où Requiem a ses habitudes, ses entrées, ses passe-droits. Que même le Général-Dissident se garde d'affronter. Même s'il fait la pluie et le beau temps pour les autorisations d'ouverture de mines, leurs excavations, leurs exploitations.
Voilà certainement une histoire racontée comme nulle autre.
ébouriffe. Il n'écrit pas. Il enflamme. Il ne décrit pas. Il explose. Il fait exploser son texte comme jamais encore je n'avais eu le plaisir d'en lire.
Ce n'est plus une langue, c'est un fleuve, un torrent qui roule des diamants de ces mines africaines.
En soi, la trame du roman n'a rien d'extraordinaire. Non ! Mais aucune importance. C'est le texte dans le texte. Un polyphonie incroyable qui s'installe autour de ce lieu de débauche, le Tram 83 ! Un bar qui est plus qu'un bar. Qui est l'institution. Qui est le véritable héros du livre dans lequel passent simplement des noms, des figures, des ombres qui n'ont d'autre vie que la sienne. Qui sont là aujourd'hui et n'y seront plus demain.
Alors que le Tram 83, lui, restera.
Et la vie du Tram 83, c'est l'écriture magnifique de Fiston Mwanza MUJILA qui la fait exploser.
Avec des énumérations ahurissantes ?
Avec des leitmotivs obsédants : cette gare, cette « construction métallique inachevée » qui s'insinue dans tous les replis de la narration ? Ces filles de petites vie dont les sollicitations s'incrustent dans les discussions, les mettent en suspension sans en interrompre le fil mais viennent et insistent, obsèdent, digressent, affolent, s'imposent !
Avec une vie qui n'a de règles que celles de ceux qui se succèdent pour les édicter et qui changent au même rythme qu'eux !
Le livre de Lucien dans tout ça ? Un prétexte simplement ! Un subterfuge ! Juste une excuse pour donner à une verve exceptionnelle l'occasion de déverser des torrents d'impressions, de sensations, d'émotions, d'odeurs, de couleurs avec une liberté magique.
« Bienvenue ailleurs » conclue la quatrième de couverture avec un à propos sans conteste.
Je vous l'assure, il faut vraiment aller y voir.