Inspirée d'un fait historique dramatique, de l'enquête de du groupe de recherche en archéologie navale (GRAN) et d'une expérience personnelle sur l'île de Tromelin, la bande-dessinée de , plus documentaire que romanesque, offre au lecteur un récit intime, passionnant et assez bouleversant d'une tragédie méconnue survenue dans la 2ème moitié du XVIIIème siècle, à l'époque des Lumières, quand le commerce d'esclaves n'avait pas encore disparu.
En août 1761, sous le commandement de Jean Lafargue, l'Utile, chargé sans autorisation de 160 esclaves emprunte une route maritime inhabituelle et heurte le récif qui entoure l'île de Sable (aujourd'hui Tromelin). Les rescapés trouvent refuge sur cette île hostile, plate et minuscule d'à peine 1 km². Deux mois plus tard, seuls les Blancs peuvent embarquer sur le bateau de fortune réalisé pourtant avec l'aide des esclaves malgaches mais ils promettent de revenir au plus vite avec des secours… Quinze ans plus tard, le 28 novembre 1776, Jacques Marie Boudin de Lanuguy de Tromelin, commandant de la corvette La Dauphine, récupère les survivants, sept femmes et un bébé de huit mois, et les ramène sur l'île de France (île Maurice actuelle).
Invité par Max à participer en 2013 à une nouvelle mission archéologique sur l'île, l'auteur construit alors un double récit, l'expédition elle-même et l'aventure imaginaire (mais plausible) de Tsimiavo, jeune esclave malgache, naufragée de l'Utile, survivante parmi les sept femmes rescapées.
Tel un roulis de bateau, par une alternance agréable des deux histoires, l'une plus elliptique que l'autre, forcément, Sylvain Savoia emmène le lecteur avec habileté et intérêt sur ce bout de terre minuscule balayé par les vagues, au milieu de l'océan indien. Une description sensible de son séjour sur l'île, empreinte d'émotions fortes et perceptibles, où le lecteur s'imprègne de l'ambiance lointaine, de ce lieu fermé où treize hommes vont vivre quelques semaines au milieu des Bernard-L'hermite et des tortues, fouiller le sol, extraire des vestiges de cette réalité effroyable, et la faire resurgir avec beaucoup de dignité.
Parallèlement, et sans difficulté de transition, il se passionne avec autant d'intérêt pour l'histoire de Tsimiavo et des autres esclaves abandonnés sur l'île, résistants malgré le désespoir, animés par un instinct de survie fascinant, une faculté d'adaptation inouïe, bravant les cyclones, la mort des uns, la folie des autres, l'abandon, la peur, le temps qui passe, inexorablement.
Animé par une curiosité grandissante, éprouvé par le sort de ces êtres abandonnés, le lecteur, à mesure que l'histoire se déploie, est assailli de questions, en quête de précisions qui ne viendront pas, hélas, faute de réels témoignages recueillis et conservés à cette époque. Mis à distance, par la rareté des documents évoquant les rescapés malgaches, il regrette presque alors que la tonalité romanesque n'ait pas comblé ce vide et soit restée si discrète.
Mais quelques extraits de témoignages, recensés en fin de volume (comme le récit du naufrage de l'Utile par l'écrivain du bord ou le rapport de Tromelin), l'évocation par Max Guérout des quatre campagnes de fouilles, certaines photographies et archives complètent avec beaucoup d'attrait et de manière utile la bande dessinée. C'est certain, elle restera en mémoire de ceux qui la lisent. Comme un hommage à ces Robinsons d'infortune.
Par ailleurs, jusqu'au 30 avril, au château des ducs de Bretagne à Nantes, les plus passionnés pourront visiter l'exposition "Tromelin, l'île des esclaves oubliés". Exposition itinérante qui s'arrêtera ensuite à Lorient, Bordeaux, Bayonne et Marseille. Plus d'infos ici.