Un éditeur m’expliquait que les nouvelles, en France, ce n’est pas la panacée, et que franchement, il n’est pas évident de tirer de l’ombre un jeune auteur qui en maîtrise le geste. Fait d’autant plus probant selon lui, il faut s’être fait (re)connaître auprès du grand public pour que le recueil se vende. C’est son métier après tout, je ne le contredirais pas.
Quelques ombres, ce sont huit nouvelles qui donneraient de l’eau au moulin de ce brave éditeur. Pierre n’en n’est pas à son coup d’essai, avec ses treize romans depuis 1982. En revanche, il possède les clefs d’un récit assez concis et cinglant. Particulièrement.
Un homme et une femme achètent un appartement minuscule, dont la dame tombe amoureuse. Sa petitesse, son charme discret : tout lui évoque une vie future merveilleuse, pour eux et leur enfant à naître. L’homme passe un mois à aménager l’endroit, pour le rendre praticable. Il sue, travaille chaque nuit… « Maintenant, c’est moche », lui dit-elle lorsqu’elle voit le résultat.
Point final. C’est… âpre. Rugueux et ça vous macère dans la cervelle de longues minutes encore après avoir tourné la page. Or, ce n’est qu’un amuse-gueule.
Des parents d’une cité pauvre abandonnent leurs enfants dans un centre commercial avant que de se suicider en ouvrant le gaz. Si par miracle l’enfant parvient à revenir chez lui, que pensera-t-il de cette maman qui laisse une mouche lui rentrer dans la bouche.
Second uppercut.
Un comédien imbus de lui-même, assiste à une cérémonie de remise des prix. Le théâtre, c’est un milieu qu’il pratique depuis longtemps. Assuré de sa victoire, comment réagira-t-il en contemplant son plus grand rival remporter Les Lauriers ?
Ça grince toujours ?
Admettons que vous tombiez amoureux, et donniez rendez-vous à la douce, dans un café, pour la revoir. Elle ne vient pas. Mais vous l’aimez. Et enquêtez sur son silence soudain. Vous apprenez de son concierge qu’elle est partie précipitamment de chez elle le jour de votre rendez-vous… mais qu’elle s’est fait renverser par un bus. Elle a les deux jambes tranchées. À l’hôpital depuis tout ce temps… Et les autres qui ne voient qu’une infirme en elle.
Là, ça démange encore, non ?
Quelques ombres, ce sont des récits accablants qui détaillent méthodiquement tous les aspects de l’inconfort, du désastre quotidien. Ce qui dérange et rend insupportable le siège dans lequel vous lisez. On cherche une position pour aborder les histoires mais chacune porte un méchant revers au moral, et bringuebale son lot de déprime et de sinistre mélancolie.
Bien écrites, et plutôt efficaces, les nouvelles vous immergent dans la noirceur, ménageant leurs effets, triant avec précaution les fils d’une mise en scène qui finira mal.
Car l'ombre, c'est surtout ce que l'on traine derrière soit et qui peut vous suivre ou vous poursuivre...
On supporte, ou non. On n’en sort pas vraiment indemne. Juste un peu écoeuré, si l’on ingurgite toute cette mixture d’un trait.
Un bon livre ? Il ne me semble pas que l’on puisse parler de « bon » ou de « mauvais » dans ce cas. C’est à encaisser, dans tous les cas. Ou à éviter de toute urgence si vous avez un tempérament sensible.