Poète et écrivain breton, a passé trois mois en résidence au cœur d’un quartier populaire de Rennes, le quartier Maurepas. De ce séjour temporaire, il a rapporté un livre unique, un reportage réaliste et poétique à la fois, un témoignage très personnel, sensible et beau, juste et précis, sombre et triste, entre inquiétude, douleur et nostalgie ; mais aussi lumineux, métissé et coloré. Toujours proche.
Une écriture visuelle et sonore, immédiate et pénétrante, capable d’immerger le lecteur sans détours au pied des grands immeubles, dans la vie des habitants, mais sans voyeurisme. Un récit délicat, tout en retenue.
A l’image d’un parcours à pied, la lecture chemine doucement à travers les bâtiments, les étages, les jardins et autres espaces publics, offre à voir, à ressentir en un rythme continu, fluide, jamais hâtif ni pesant. Quelques haltes sont possibles, bien sûr, étincelantes d’ailleurs, à travers notamment les aquarelles du dessinateur Emmanuel Lepage. Ainsi composé, Les rumeurs de Babel devient un objet artistique autant que littéraire, engagé et précieux. A partager.
Nul besoin d’être Rennais, le quartier Maurepas pourrait s’appeler Miramas, Malakoff, Belleroche, La Beaucaire ou Bondy, quelque part en France. Si loin, si proche… A découvrir ici. Mais là-bas lui ressemble sûrement.
"Moi qui ne suis/que de passage/sur leur passage"
Yvon Le Men rend compte du quotidien des habitants de ce quartier. Voisin attentif à l’ordinaire, aux habitudes qui rythment les existences, il observe, s’insère, s’intègre, raconte enfin et donne vie. Véritablement.
“Nous sommes ensemble par le bruit qui déborde de partout”.
De ces logements construits vite ("au moins cher ") à l’époque des Trente Glorieuses pour accueillir les ouvriers de l’usine Citroën ("qui découvriraient en même temps/ les trois/huit et le confort") ou les exilés ruraux et devenus aujourd’hui résidences vétustes, mal isolées, destinées davantage aux étrangers ("mon voisin s'appelle Abdel"), aux chômeurs et autres exclus de la société ("A Maurepas/ dix pour cent des gens vivent avec/ devinez quoi ?/ soixante-sept euros par mois/ quand on sait/ vous ne le savez peut-être pas/ qu'à Maurepas/ cinquante pour cent des gens vivent avec/ devinez quoi ?/ neuf cent trente et un euros par mois").
Des jeux du square, du chantier d’un tunnel pour la future ligne de métro, des zones de deal en bas des immeubles, des femmes avec leur lourd cabas en plastique ("des sacs/des sacs/trop de sacs") et la ribambelle d’enfants à leurs côtés, des chiens, agressifs ou non, solitaires ou en laisse, des bandes de filles, du café et du verre de vin pour tromper l’ennui ("les heures si pleines/de secondes/qui n'en finissent pas/de ne pas finir") de la télé toujours forte, la nuit, le jour, des associations de quartier et des cours d’alphabétisation, des violences conjugales, de l’ivresse désespérée, des correspondants de nuit “qui la nuit/ chassent /les bruits/ que l’on peut faire/ seulement le jour”, des ordures jetées depuis les étages ou dans les escaliers ("on trouve/des slips/des capotes/des tampons/des chaussettes qui traînent/sur les marches qui mènent"), des cris ("ça s'infiltre/sous les boules Quies"), de la folie, des jardins familiaux, (“9m² pour 10 euros par an”), de l’église et de son prêtre africain, de la maison de retraite, de l’école où les enfants "s'écraseront de sommeil/sur les tables de classe/faute d'avoir dormi", de la salle de prière pleine chaque vendredi, de l’immense solitude ("cinquante et un pour cent de gens seuls/comme ce n'est pas possible/vivent/survivent") ; Yvon Le Men n’omet rien.
Certes habitant de passage mais familier des lieux, imprégné des bruits, des odeurs, des couleurs, attentif aux habitudes, aux gestes, aux paroles comme aux murmures de ses voisins, à l’écoute, empathique, éreinté, éprouvé, en proie à la rêverie ou à la tristesse, désenchanté ou étonné, jamais indifférent, jamais indiscret. Lié à l’endroit lui-même délié ("tous les cinq ans/la moitié des gens/s'en vont/pas le temps/alors/de bâtir une maison/commune").
Epuré et sobre, ce long poème entre aussitôt en résonance avec le lecteur, défile comme les images d’un film, EST le quartier. Des vies sans éclat deviennent ainsi poésie, des bruits incessants et répétitifs forment ses sonorités, marquent le rythme, percutants, forts d’émotions, entêtants. Le quartier vibre. A la dérive. Déchirant.
C'est un appel, une prise de conscience, un choc "s'il vous plaît/faîtes quelque chose/pour eux/pour que/ceux de Maurepas/qui ne dorment pas/dorment/bien/au moins une fois." Entendez-le. De toute urgence. "Ca ressemble/ce n'est pas possible/ça ressemble/à des appels/au secours."