Avec Les Complémentaires, chef de file de la littérature danoise contemporaine, entendait pousser les murs de sa prose un peu confinée, un peu centrée sur les histoires d'intimité brisée (Quatre jours en mars, Sous un autre jour). Un poil trop appliqué mais sensible.
C'est l'histoire d'une famille danoise qui voit apparaître des fissures dans sa belle et élégante unité. C'est aussi l'histoire d'un couple qui n'a pas perdu de sa superbe mais se frotte avec douleur à la cinquantaine. Enfin, c'est une histoire d'unions mixtes, de mondialisation et d'identités fracturées.
Les Fisher vivent dans la banlieue cossue de Copenhague. Lui, David, est un avocat juif brillant, issue d'une famille poly-traumatisée. Elle, Emma, est une peintre anglaise, qui a peut-être laissé filer sa chance de devenir une peintre reconnue en venant s'installer jeune dans un Danemark qu'elle ne comprend guère. Ensemble, ils ont su bâtir un quotidien rassurant mais sans surprise, plein de regrets, de tendresse, et de non-dits. Ils ont eu une fille, Zoë, vidéaste, éprise de son petit-ami pakistanais qu'elle a filmé dans un court métrage qui se veut controversé : «Les Complémentaires».
Un mini tremblement de terre dans une famille qui , sous son vernis progressiste, entretient un rapport compliqué avec les religions, la géopolitique, l'altérité.
Les Complémentaires raconte l'histoire de ces quelques jours, entre la première rencontre et la familiarité, où deux mondes s'observent et s'affrontent. Avec un soin presque pointilliste, Grondahl esquisse les contours de ce couple qui s'éloigne, qui s'appuie sur une loyauté symétrique, mais s'interroge sur la fidélité, qui se recentre sur sa progéniture tout en s'affrontant sur la transmission.
L'enfance de David, son père compliqué, son premier amour pour une jeune juive comme lui, l'éloignement vis-à-vis de ses origines : tout ceci est très fin et admirablement dessiné.
On trouve aussi dans les Complémentaires de belles pages sur l'art et la nostalgie («Un Picasso restait un Picasso dans une baraque de chantier »), les méandres de la créativité.
Face à cette description solidement émouvante d'un couple de cinquantenaires, l'histoire du jeune couple paraît un peu expédiée. Finalement, Grondahl s'est réfugié encore une fois dans ce qu'il connaît le mieux : les histoires d'amour un peu fânées, un peu déchirées.