Les Éditions de la Différence se veulent un espace de liberté de pensée. Elles donnent aujourd'hui la parole à l'un de leurs nouveaux auteurs, Benoît Virole, dont elles viennent de publier un roman, Mission sur le Yang-tse, qui mêle le récit d'une aventure avec une réflexion sur le déterminisme en politique.
Aujourd'hui, Benoît Virole s'attaque à un problème, le mariage pour tous, qui taraude la société française en même temps qu'il sert d'instrument de diversion, à la droite comme à la gauche, pour masquer leur impuissance à apporter la moindre solution aux questions fondamentales qui se posent à la planète entière, le terme de « crise » étant lui-même un aveu puisqu'il s'agit, non pas d'une zone de turbulences limitée dans le temps, mais de l'inéluctable disparition, par autodestruction du capitalisme occidental, d'un type de société.
La politisation de la question du mariage dit « pour tous » entrave toute réflexion et dénature la pensée. Elle tend à cliver les idéologies sur une question où devrait s'exercer la pensée réflexive. Le soutien au mariage pour tous serait celui de l'engagement pour l'égalité des droits et serait du côté des forces progressistes et libertaires.
Sa critique ne peut être que conservatrice, nourrie de puritanisme d'un autre âge, s'appuyant sur les forces de répression de l'homosexualité, et au premier plan d'entre elles, les églises et les corps confessionnels. Le mariage pour tous serait un marqueur de différenciation idéologique scindant la société française entre d'un côté, les forces de progrès, ainsi s'autodésigne volontiers la gauche, et les forces réactionnaires, autrement dit la droite, soutenues par le conservatisme des églises. Ce clivage est une défaite de la pensée.
On peut avoir une sensibilité politique de gauche, et donc soutenir un partage social raisonné des richesses du pays, et être opposé au mariage pour tous, sans pour autant appartenir au clan honni des « homophobes », terme médiatique dont la consistance sémantique reste à définir. Il est injuste, et insupportable, de discriminer un couple homosexuel, et ceci dans tous les domaines de la vie publique et en particulier en regard de la transmission de biens patrimoniaux.
Des dispositifs juridiques peuvent être remaniés ou créés. Sur le plan de la reconnaissance sociétale, une union civile en mairie semble être un dispositif symbolique adapté. Mais la question du mariage est d'une autre nature. Le mariage n'est pas un contrat sanctifiant socialement l'amour entre deux êtres, mais une institution définie par un ensemble de droits entre les époux et de devoirs envers les enfants et spécifiant d'une part les liens entre la conjugalité et la parentalité, et d'autre part entre la filiation et la naissance. Le mariage est donc une structure anthropologique, performée dans le droit, articulant la nature (naissance) et la culture (filiation).
Benoît Virole
Cette structure anthropologique est intrinsèquement liée à la différence sexuelle. Son occultation par le militantisme homosexuel est une aberration, sauf à considérer que l'objectif premier du mariage pour tous est la négation de la différence sexuelle, ce en quoi la question politique serait le prolongement de la dynamique psychique inconsciente de l'homosexualité telle qu'elle a été dévoilée par la psychanalyse. Dire que la différence sexuelle est inutile, sans signification, relative, susceptible de subversion, est une affirmation qui fait fi de son fondement structural et de sa fonction sociétale. Cela ne signifie en rien que des enfants élevés par des couples homosexuels seraient plus exposés à des troubles psychiques que d'autres enfants.
Le déterminisme des troubles mentaux est d'une complexité d'un autre ordre et ne relève pas unilatéralement d'un facteur environnemental de ce type. Mais il n'est pas dit qu'il soit souhaitable, et légitime socialement, d'accepter que des enfants puissent être privés d'une mère ou d'un père par cette subversion du droit. Le mariage pour tous confond dans un même syncrétisme l'égalité des droits et le droit à l'égalité. Il tend à considérer que l'amour devient la légitimité unique du mariage et que celui-ci est un bien dont il est injuste d'être privé pour une question d'orientation sexuelle. Le mariage serait ainsi un bien dont tous devraient pouvoir jouir.
En ce sens, le militantisme pour le mariage pour tous contribue à la réification généralisée des relations humaines. Il est assez triste de voir la gauche, comme un seul homme (!), s'engouffrer dans une idéologie à la courte vue qui dévalorise la construction symbolique d'une société en dénaturant une de ses institutions fondatrices. Car l'urgence sociétale n'est pas, nous semble-t-il, dans l'évanouissement des structures constituantes permettant la construction des identités et des filiations.
L'évocation de la notion de décadence, que l'on entend ici et là, n'a par contre pas de sens. Une société peut parfaitement évoluer par changement de ses institutions. Mais aujourd'hui, on ne peut à la fois se plaindre de l'anomie croissante, de la diffraction des liens sociaux, de la perte des repères identitaires et en même temps adopter sans réflexion une réforme aussi importante que celle du mariage pour tous. L'escamotage du débat, sa confiscation par les mises en garde sur « l'homophobie » signent son refoulement sous des enjeux politiques d'une autre nature.
Or, nous devons constater que les vraies questions, éthiques, anthropologiques, juridiques, humanistes, viennent aujourd'hui des institutions religieuses et des réflexions théologiques. C'est là une défaite de la pensée laïque prise dans des contradictions idéologiques qui l'amènent à courir dans le lit de la pensée unique et à perdre sa capacité réflexive. La laïcité est un combat pour la critique des illusions religieuses.
Elle ne consiste pas dans l'intolérance pour la pensée de l'autre et dans l'outrecuidance de se croire dans l'absolu d'une position soi-disant progressiste. Il n'y a pas de pire église que celle que l'on s'est construite inconsciemment à l'intérieur de soi.
Benoît Virole
En marge de son exercice de psychanalyste et d'essayiste,
Benoît Virole consacre une part croissante de son temps à la littérature.