la semaine dernière, débutant le grand feuilleton de l'été, Vendredi, ou l'avis sauvage, notre héros offrait à sa moitié un vrai voyage de rosses : le couple se retrouvait sur un antique navire, où la rouille disputait son monopole à la peinture : en jetant dans la chaudière le dernier Nathalie Rheims, il donna sans le vouloir le coup de grâce.
Il se réveilla sous une vague, emporté vers un rivage, avec le sable qui lui écorchait la poitrine : son premier réflexe - et pas des meilleurs - fut d'ouvrir la bouche pour crier. Il était seul, et venait de boire la houle jusqu'à la lie. Personne en vue, quelle que soit la direction. Devant, océan, derrière, forêt impénétrable. Il se risquait à faire quelques pas sur la plage, lorsqu'un objet massif se ficha juste entre deux doigts de pied, comme une tong transformée en supplice vietcong. Il se pencha : c'était un livre, un peu gondolé par l'humidité, mais bien lisible.
Nous, les noyés. Très drôle. Évidemment, il s'agit d'une histoire de naufrage, ou plutôt d'histoires de naufrage. 1 bon millier de pages, inspirées par les marins de Marstal, petite bourgade portuaire du Sud du Danemark. Nous sommes à la fin du XIXe, et pas là pour faire du tourisme : une génération plus tard, la Grande Guerre vient bousculer la quiétude, avec « sous-marin allemand » et bâtiments anglais en veux-tu en voilà. Roman de Vikings, le bouquin de Carsten Jensen ?
Pas vraiment, puisque « Marstal commençait à perdre sa flotte, mais ce n'était pas le fait des sous-marins »... « Au moins, j'apprendrai deux-trois trucs sur la pêche » se dit-il : sur le navire, Herman (Melville ?) achève les dauphins d'une balle entre les deux yeux. Moby Dick n'a qu'à bien se tenir.
Nous, les noyés, de Carsten Jensten, traduit par Hélène Hervieu et Alain Gnaedig, 11,90 €, 10/18
Trois heures pour tresser l'écorce arrachée aux arbres du littoral, jeter la ligne improvisée dans l'océan et attendre, pour rien... Si petit soit le poisson, il ne mordra qu'un appât, et les habitants de la mer ne se nourrissent pas de papier. Il pourra au moins utiliser les pages pour allumer un feu. Étrangement, seul, sur une plage désertée, sans espoir de retour, il n'a pas vraiment envie de s'offrir une heure de lecture.
Un autre bouquin, ramené sur le rivage par le ressac : probablement les bagages d'une malheureuse bibliophile, éventrés par la colère des profondeurs. Cocktail Club, de Madeleine Wickham alias Sophie Kinsella : de l'intérêt d'écrire sous pseudonyme... On passe au plan B, comme Biture. Il s'attendait à trouver dans l'ouvrage des recettes par dizaine, le genre de breuvage qui vous cogne la tête comme Frazier sur Ali... Entre deux rochers, il a distillé, sans trop savoir comment. À force de tester, il était ivre avant même d'ouvrir le livre : mais même beurré, il était chiant. Dialogues omniprésents : normal, il s'agit de cancans façon Sex in the City (« D'ailleurs, les trois copines ont une tradition : une fois par mois, c'est cocktails et gossips au Manhattan Bar »), mais ça permet aussi de moins se creuser pour l'action.
Cocktail Club, de Sophie Kinsella, traduit par Marion Roman, 20,50 €, Belfond
En parlant de creuser, la gueule de bois ne neutralise pas son appétit, au contraire : dans le sable, il ne trouve que des couteaux vides, comme sur les plages de Bretagne. Puis, marchant à l'ouest, il tombe, littéralement, sur une petite caisse en bois, hermétiquement fermée. Il espère quelque chose de comestible : dommage, c'est à nouveau du papier. Mais sec et immaculé cette fois.
Une cerise pour couper le jeûne... Chez Serge Safran, comme si tout s'était réuni pour lui rappeler sa fringale sans commune mesure. Sans parvenir à comprendre la provenance de ces ouvrages, il ouvrit celui-ci, décidé à expirer lettré à l'ombre d'un palmier. 7 nouvelles ciselées, des deuils, beaucoup (il était donc le seul survivant ?), et l'autorité, soit militaire, soit religieuse, qui explique aux Iraniens comment mener leur vie. Du coup, sur son île déserte, il goûtait la liberté et c'était suffisant pour le nourrir.
Une cerise pour couper le jeûne, Hafez Khiyavi, traduit par Stéphane Dudoignon, 17 €, Serge Safran