A Tizangara, petit village de Mozambique, les Casques Bleus de l’ONU sont présents afin d’assurer la surveillance du retour au calme après une période agitée dans le pays.
Mais d’étranges phénomènes sont survenus au cours des dernières semaines : des militaires sont mystérieusement disparus après une explosion ne laissant derrière elle d’autre trace que la casquette des malheureux et leurs « bijoux de famille »…
S’agissant d’autochtones, il n’en aurait certainement pas été fait grand cas au niveau international mais s’agissant de ressortissants étrangers représentant les Nations Unies, les explosions font grand bruit jusqu’à New York qui décide d’envoyer sur place un enquêteur italien, Massimo Risi.
Du coup, l’Administrateur de Tizangara s’inquiète de l’incursion de cette autorité extérieure. Ancien révolutionnaire porté au pouvoir à l’issue des bouleversements politiques du pays, Estêvão Jonas n’a pas trop envie de voir des étrangers mettre leur nez dans l’appropriation des biens et du pouvoir qu’il met en place avec méthode dans ce pays depuis que ses exploits passés lui ont servi d’abord d’auréole ensuite de justification, enfin de blanc-seing. Aussi décide-t-il de nommer traducteur auprès de l’italien le narrateur de l’histoire dont il attend aussi qu’il lui serve d’espion quant à l’avancement de l’enquête.
Pour l’identification de la dernière victime, il est fait appel à une spécialiste : Ana Deusqueira. Qui mieux que la prostituée du village pourrait reconnaître les « restes » de l’explosé et en identifier l’ancien propriétaire…
Sous l’angle de la fable, déploie une tragi-comédie remplie de tous les malheurs de l’Afrique.
De révolution en coup d’état et de colonisation en spoliation méthodique de ses habitants, ce continent riche mais destructuré ne cesse de plonger dans la misère la plus grande partie de ses peuples alors que quelques marionnettes soutenues par l’étranger organisent la curée pour dévorer les meilleurs morceaux sans soucis de la misère générale des populations.
C’est une fable, une légende, une sorte de parabole que ce récit où tous les ingrédients de l’asservissement de l’Afrique sont en place. Depuis l’interventionnisme étranger jusqu’aux différences ethniques en passant par le choc des cultures et la persistance de croyances ancestrales sur lesquelles a été longtemps appuyée la stabilité des sociétés locales totalement bouleversée aujourd’hui par de nouveaux concepts importés au même titre que les armes automatiques et les pressions financières.
Des personnages merveilleux émaillent un récit poétique, imagé, imaginaire. Un vieux sage qui ne peut que constater les bouleversements qui succèdent aux bouleversements et inquiètent les ancêtres qui ne peuvent plus participer à la vie quotidienne ! Un prêtre qui s’adresse sans ménagement à son Dieu quand celui-ci dépasse les bornes de l’humainement acceptable. Une jeune ensorcelée dont l’amour sert de pilier pour supporter un pont entre les cultures. Une épouse d’Administrateur dont le titre d’épouse sert de justification à l’auto-proclamation au titre de Première Dame et à l’appropriation de pouvoir indue. Et tant d’autres…
Ils sont d’une incroyable authenticité et, abstraction faite de leur participation à la fable, d’une extrême réalité.
Mais derrière cette fable, il y a de profonds messages que l’auteur égrène de-ci de-là et qu’il lance à la face du monde revendiquant la reprise en mains d’une destinée collective propre (« Pourquoi notre pays aurait-il besoin d’inspecteurs venant de l’extérieur ? »), la sauvegarde de son identité (« Nos ancêtres nous regardent comme des enfants étrangers ») et de sa culture (« Certains, les Noirs délavés, ont même imité les Blancs »), l’universalité de la lutte pour l’égalité (« (les femmes) formaient, en soi, une autre race ») et contre l’asservissement (« Ce n’est pas la paix qui (les) intéresse (…) leur problème c’est de maintenir un ordre qui leur permet d’être patrons ») et tant d’autres si magnifiquement énoncés.
Car Mia COUTO est d’une lecture merveilleuse. Il chamboule les phrases et malmène les mots qu’il transforme. Des mots valises (« humblemenu »), des mots images (« il s’ultiméteignait »), des mots mêlés (« il s’embredouille ») qui surgissent au milieu d’un texte d’une poésie infinie où les flamants symbolisent le caractère immuable de la vie : il faut craindre de voir arriver le jour de leur dernier vol.
Ce que je trouve, encore une fois, merveilleux dans la littérature de Mia COUTO, c’est de constater comment un « Blanc » peut écrire aussi « Noir ».