Relecture d’après-midi : « Les amours suspendues » de Marion Fayolle. J’avais déjà été très touché à la découverte de cet album et le relire m’a de nouveau plongé dans la sensation duveteuse que procurent les œuvres qui nous traversent, qui nous parlent avec une langue qui n’appartiennent qu’à elles et qui rayonnent d’une profonde humanité.
Marion Fayolle y approfondit une écriture singulière qui touche au langage même du récit visuel et trouve ici une forme de quintessence. Elle développe une énonciation faite de théâtralité tout en préservant toute la puissance poétique de l’image qui compose la richesse de son travail.
Les personnages sont systématiquement présentés en pieds, sur une scène, et le protagoniste (qui plus est dramaturge) rapporte à un auditoire (le lecteur) les récits de ses amours volages qui s’incarnent en images évocatrices et symboliques.
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La mise en scène ne cesse de se renouveler et l’on pense aux pièces de Julien Gosselin ou d’Alexis Michalik dans cette capacité à revitaliser le récit par des astuces visuelles et narratives. Ponctué par des séquences prenant les atours de chansons ou ballets, il n’est pas étonnant que ce livre soit souvent qualifié de comédie musicale en bande dessinée (et en ce sens on pense davantage aux films de Christope Honoré que de Baz Lurhmann).
Les corps se répètent et se déplacent dans l’espace scénique de la double page, interprétant d’élégantes chorégraphies visuelles. Comme toujours chez Marion Fayolle, les dessins nous parlent, stimulent autant le plaisir des yeux que de l’intellect : la ligne fragile esquisse des silhouettes délicates accompagnées de couleurs désaturées et les déformations figuratives amènent subtilement à un basculement du regard, qui interprète désormais plus qu’il n’observe.
Entre beauté du mot et puissance lyrique de l’image, « Les amours suspendues » est une œuvre à lire, à relire donc, rien que pour retrouver cet état cotonneux que sa lecture procure, malgré un sujet fort et tranchant (mais je n’ai malheureusement pas la place de m’étendre dessus).