un article publié sur Publishers Weekly, l'auteur et journaliste Cory Doctorow partage ses vues sur le Digital Right Management, ce verrou numérique qui protège le fichier contre le piratage, mais restreint aussi la liberté d'utilisation du fichier acheté légalement par les lecteurs. Plébiscité par les éditeurs pour la protection des oeuvres, le DRM ne constitue en fait qu'un moyen de pression pour les revendeurs intermédiaires, qui s'assurent ainsi un filet de sécurité en cas de litiges.
Les éditeurs internationaux ont peut-être confondu DRM et THC : beaucoup sont encore persuadés que les DRM constituent l'outil idéal pour la protection de leur fichier, bien que celui-ci puisse être « cracké » par différents utilitaires disponibles sur Internet, par exemple Calibre. Comme le rappelle Doctorow, si convertir un fichier d'un format propriétaire à un autre (et donc en ôter le DRM) n'est pas illégal, mettre au point et distribuer un programme à cette fin l'est.
Dans tous les cas, même si le DRM a tendance à niveler les chiffres du piratage, son utilisation contrevient aux droits du consommateur : un ebook acheté sur l'iBookStore ne pourra ainsi pas être lu sur Kindle, à moins d'oser franchir la ligne rouge de la conversion. Bien plus, à l'heure où l'obsolescence des dispositifs de lecture est évaluée à 18 mois, c'est toute sa bibliothèque que l'utilisateur risque de perdre (ou de convertir illégalement) s'il souhaite changer de crémerie, en tentant d'aller voir chez Kobo ou Nook plutôt que de croquer à nouveau dans la pomme.
Format propriétaire...
Premier lésé, l'utilisateur a trop peu de garanties relatives à la durée de vie de son fichier : c'est le grand défi de la dématérialisation, proposer un contenu immatériel, mais dont l'utilisateur est bien le propriétaire. Or, l'appellation même de « format propriétaire » signifie bien ce qu'elle désigne : même en s'acquittant de la somme due, l'acheteur n'est jamais assuré de posséder le produit, et l'épée de Damoclès de l'interopérabilité vacille en permanence au-dessus de sa bibliothèque virtuelle.
Si éditeurs (par exemple Hachette) et constructeurs (Kobo, Sony, Samsung) commencent à se diriger vers l'EPUB en tant que format standard, notamment par le biais du projet Readium, tous rechignent encore plus ou moins à céder la protection numérique des fichiers. Arnaud Nourry, PDG de Hachette Livres, se refusait ainsi de céder le DRM dans un avenir proche : « Si dans cinq ans ou dix ans, la question est culturellement dépassée, on sera ravis d'enlever les DRM. Mais aujourd'hui, nos auteurs ne comprendraient pas que l'on se lance dans un système où l'on vend une fois et où c'est copié 500 fois. C'est trop contraire à la défense du droit moral pour qu'on le fasse. Peut-être dans une prochaine génération, verra-t-on les choses autrement : la musique a fini par abandonner les DRM, mais l'heure n'est pas venue pour les éditeurs. » (voir notre actualitté)
Et si on faisait autrement ?
Pourtant, des alternatives existent en matière de contrôle de la circulation des fichiers : le watermarking, plus léger, mais encore curieux des informations personnelles, a ainsi été choisi par J.K. Rowling pour protéger les versions numériques de Harry Potter. (voir notre actualitté)
Si, début 2010, le combat de Macmillan contre Amazon a finalement été remporté par l'éditeur, il aurait pu en être tout autrement. Si aucun accord n'avait été signé, Macmillan aurait probablement retiré ses titres de la plateforme, pour les distribuer via un autre acteur du marché. La perte pour Macmillan aurait été importante, mais ses ressources financières lui auraient sans doute permis de faire face. En 2012, la situation est déjà différente : les millions de lecteurs des titres Macmillan sur Kindle seraient-ils prêts à quitter leur Kindle pour suivre leur éditeur préféré ? Rien n'est moins sûr, surtout si cela suppose d'abandonner toute sa bibliothèque KF8. Quant aux auteurs, la perspective de voir leurs livres disparaître des plateformes aux ventes impressionnantes pourrait suffire à les convaincre de s'adonner au jeu du format propriétaire.
Ce dernier, sous le prétexte d'empêcher le piratage, fournit surtout aux constructeurs/revendeurs un argument de poids : des utilisateurs qui leur sont matériellement liés, avec les chiffres de vente qui vont avec.
Par ailleurs, la toute-puissance du format propriétaire fournit aux revendeurs la possibilité de contrôler précisément le contenu vendu sur leur plateforme, au risque de verser sans vergogne dans la censure. Apple a ainsi refusé de vendre l'ouvrage de Seth Godin, Stop Stealing Dreams, parce qu'il contenait des liens vers Amazon. (voir notre actualitté) Exercer un contrôle sur le contenu d'un livre numérique est plutôt désespérant, étant donné que ceux-ci sont censés offrir plus de possibilités d'interaction. L'affaire PayPal, même si elle s'est plus ou moins bien terminée (PayPal s'accordant tout de même un droit de regard sur les images jugées choquantes), n'est que la partie immergée d'un iceberg qui pourrait bien faire couler les droits du consommateur et du lecteur.