Tous les écrivains depuis Edgar Allan Poe jusqu’à Rod Sterling ont exploré le thème littéraire du double dérobant la personnalité d’un autre. Selon l’auteur Charles Baxter, c’est une vieille conception qui demande à être revue. « Nous sommes à une époque où les personnes se forgent une identité sur le Web s’ils le veulent, affirme Baxter. Il n’y a rien pour vous empêcher, d’une façon ou d’une autre, d’être quelqu’un d’autre si vous ne rencontrez pas les gens dans la vraie vie finalement ».
M. Baxter fait de la peur du vol d’identité le thème central de son nouveau livre, The Soul Thief (Le voleur d’âme), et il sait à quoi s’en tenir puisqu’on s’est approprié son propre nom. Quand il a commencé sa carrière d’écrivain il y a 27 ans, Charles Baxter envoyait ses manuscrits à un ami qui les critiquait. Ceci a duré pendant un an ou deux, jusqu’à ce qu’il découvre que son ami se faisait passer pour lui lors de lectures.
L'ami s'est confessé rapidement et l'écrivain véritable lui a demandé de rétablir la vérité, mais vouloir devenir quelqu’un d’autre est « un souhait humain. Vous voulez être le Grand Gatsby. Vous ne voulez pas être Jay Gatz, un gamin de la ferme. Vous voulez être un homme classe avec une grande maison, des fêtes exceptionnelles et beaucoup d’argent – le genre d’homme qui a une femme. Pourquoi pas, vous voyez ? »
Baxter : « C’est une réponse de sociopathe ».
Dans The Soul Thief, Nathaniel Mason est un étudiant diplômé de Buffalo (New York) au début des années 70, lorsqu’un petit génie odieux du nom de Jerome Coolberg croise sa route. Des vestes et d’autres vêtements de Nathaniel commencent à disparaître de son appartement glauque. Une junkie jetée dehors par la petite amie artiste de Mason lui vole, apparemment pour Jerome qui est obsédé par Nathaniel.
Nathaniel souffre alors de dépression et se réveille pour trouver son appartement sens dessus dessous. Le livre dépeint ensuite l’ambiance des décennies précédentes. Nathaniel vit dans le New Jersey avec sa femme et ses deux fils quand Jerome, désormais présentateur dans une radio de Los Angeles, lui donne rendez-vous. Le livre s’oriente alors vers un retournement de situation.
« Très souvent, quand quelqu’un fait subir cela à quelqu’un d’autre, des troubles en résultent, affirme Charles Baxter, citant les romans à suspense de Patricia Highsmith comme Strangers on a train et The Talented Mr. Ripley. Dans mon roman, il y a de la violence. Je ne pense pas que ces échanges puissent exister sans un peu de sang sur le sol ».
Du mythe urbain à la lecture sociale
Dan Frank, l’éditeur de Charles Baxter (Pantheon Books), dit que The Soul Thief, sorti dans les librairies en février entre 18 000 et 20 000 exemplaires, peut être lu comme une histoire honnête – un témoignage des capacités d’écriture de M. Baxter : « Il peut raconter une histoire très bonne à lire et ces questions (le vol d’identité) peut passer en second plan sans pour autant ressembler à une démonstration d’arguments ou à un sermon. »
M. Baxter initie son roman à Buffalo, où il était étudiant, parce que cette ville est un « exemple de la vieille Amérique que nous avions, où les choses sont faites ». L’action se déplace ensuite à Los Angeles, où les images et les identités sont fabriquées. « Et je pensais que c’est le genre d’Amérique que nous avons dans notre culture de l’écran – les gens essaient ou réussissent même à devenir d’autres personnes ». Avec sa barbe, ses lunettes bordées d’un cordon gris, une veste de sport, ce soixantenaire ressemble à un professeur d’université, qu’il est d’ailleurs à l’Université du Minnesota.
Le cinéma, père de toutes les déformations
Charles Baxter a eu sa propre expérience à Hollywood avec l’adaptation cinématographique de son roman acclamé en 2000 The Feast of Love, finaliste du National Book Award où les gens tombent amoureux d’un coffee shop. Malgré un oscar du meilleur réalisateur (Robert Benton) et un casting incluant Morgan Freeman, Greg Kinnear et Selma Blair, Feast of love s’est noyé dans des critiques mitigées et dans des résultats faibles au final.
« Il y avait beaucoup de personnes qualifiées avec de bonnes intentions impliquées dans ce film » affirme M. Baxter. Compresser les 5 principales intrigues dans un film a peut-être été le problème. Allison Burnett, une romancière qui a adapté The Feast of Love pour le grand écran, témoigne que ce fut un défi de choisir quoi couper du livre de M. Baxter, et qu’elle pensait que l’auteur aimerait l’adaptation ».
Allison Burnett affirme que les chiffres finaux du film ont souffert du marketing qui a trompé les cinéphiles et les critiques « en pensant que c’était une jolie comédie légère et romantique ». Désormais Charles Baxter n’est pas sûr qu’il vendra les droits de ses œuvres à nouveau.« Vous savez l’argent est bien – J’ai encaissé le chèque de « The Feast of Love ». Mais à moins d’avoir… un droit d'approbation du script, je ne pense pas que je retenterai l’expérience » dit-il. « C’est mon nom. C’est leur film, mais c’est mon nom qui défile sur le générique ».
Un film ne sera jamais qu'un film
Il tourne le dos à cette expérience. « Pour moi, le plus important est le livre. Je comprends le pouvoir que les films peuvent avoir dans notre culture. Mais à la base, je suis un homme de livre. Vous savez, sortir un livre est toute une affaire pour moi. Et à moins qu’un film soit vraiment génial, je pense : ‘ Eh, c’est un film. A quoi t’attendais-tu ? »