Commencé à 21h01 et achevé à 22h22 pour être précis, ce petit livre désopilant () conte et compte le temps avec jubilation. Dans la seconde, vous allez prendre conscience que prendre du temps pour la lecture de ce livre va vous faire gagner votre temps.
Ici, pas de longs discours philosophiques pour comprendre le fonctionnement de notre société et ses incohérences. 118 pages, 91 chapitres pour saisir toute l'absurdité et la folie d'un monde qui compte sans cesse pour être toujours plus compétitif et plus rentable mais qui au final n'atteint que vacuité, ennui et sombre désespoir.
"Le temps passe plus vite quand on s'amuse."
Pas de panique, grâce à l'humour noir et corrosif de l'écrivain suédois Pär Thörn (traduit par Julien Lapeyre de Cabanes), le drame de nos vies ordinaires devient dérisoire et très drôle. Voici donc un court texte pour passer le temps sans vraiment le perdre.
Sous la forme d'un faux-journal, un homme relate sa vie, de sa naissance à sa mort. Un quotidien comptabilisé, ritualisé, éprouvé, évalué, condensé à travers le temps imparti à chaque geste, chaque activité qui le compose.
Analyse d'autant plus fine et précise que le narrateur exerce la profession de chronométreur dans une usine. "Mon devoir n'est pas d'inventer, de construire ou de falsifier des données, mais de noter les chiffres qui s'affichent lorsque je mesure la durée d'une action avec ma montre."
Ainsi toute sa vie, le héros s'évertuera à optimiser le temps. Rigoureux et objectif, sérieux, il prend le temps de trouver toutes les possibilités pour qu'à l'usine l'ouvrier soit plus performant et productif, devient expert reconnu, affecté au bureau central et même invité au congrès fondateur de la société tayloriste de Suède.
"Je me perçois comme une ressource".
Sa vie personnelle est mesurée et simple comme un canapé IKEA à monter soi-même. "Les heures s'ajoutent aux heures. Les jours s'ajoutent aux jours. Les années aux années". Il y a bien, çà et là quelques irritations, des menaces qui freinent le rythme, une montre qui cesse de fonctionner, et défie alors l'équilibre de l'esprit, crée de la souffrance, mais globalement, sa maîtrise et son expérience de la mesure du temps le conduisent jusqu'à sa retraite sans vraiment connaître de lassitude ni de solitude mal vécue ("elle m'a donnée la liberté de penser").
Mais rien n'arrête la course du temps, pas même l'attention qu'on lui porte. Et si très certainement notre espérance de vie augmente à mesure que nous vieillissons, elle n'empêche pas la FIN.
Celle du livre bien sûr !