Je ne suis pas toujours convaincu par la publication papier des . Dans la plupart des cas, les gags qui fonctionnent au coup par coup sur le web perdent de leur mordant une fois rassemblés, imprimés et reliés. On sent les ficelles, on repère les facilités, on n'est pas convaincu par l'univers. L'amusement est souvent bien inférieur à celui qu'on éprouve en ouvrant, via les réseaux sociaux, un lien vers un bon gag bien senti.
Avec la publication du blog de Bastien Vivès chez Delcourt, dans la collection Shampooing, j'observe directement toutes ces facilités : le dessin me semble trop vite torché, sans parler de la quasi-absence de changements de position des personnages d'une case à l'autre ou du peu de soin porté aux détails... et la thématique récurrente n'arrange rien. Pourtant, je dois bien l'avouer, je suis complètement emporté. Je tourne les pages comme un gamin, bluffé par le tempérament crade du père de famille, par la mauvaise foi des personnages qui défilent, par les traits de personnalité bien observée ou par tous ces silences lourds de sens.
C'est que Bastien Vivès se relâche complètement dans ces strips vite pondus. Il est en roue libre, il semble livrer sans effort ce qui lui saute spontanément à l'esprit et c'est fort drôle.
À vrai dire, le dispositif très pauvre – ces images répétées et cet encrage rapide – rappellent les premières planches de Lewis Trondheim, quand il photocopiait et agrandissait ses propres dessins, à défaut de pouvoir bien dessiner ses personnages (ce n'est peut-être pas un hasard, car c'est lui qui dirige aujourd'hui la collection qui publie ces albums de Vivès). Toute la tension et toute l'attention se portent alors vers le texte, dialogues ou monologues, selon les auteurs. Le processus est risqué car il demande à l'auteur de réinventer sans cesse sa formule, de surprendre avec presque rien, d'être drôle quoiqu'il arrive.
C'est cela justement que Bastien Vivès réussit très bien dans ces deux premiers albums.
Le premier, il l'avait consacré à l'univers du jeu vidéo et, pour ceux qui ont tâté du joystick, de la console et des jeux de combats à un moment ou l'autre de leur existence, les gags et les portraits de hardcore gamers font mouche. Comme le deuxième volume est consacré à la famille, tout le monde est cette fois concerné. Qui n'a pas en effet assisté à une engueulade autour du repas du soir, à une ruade d'ado ou un mensonge d'adulte ? C'est un plat traditionnel de la BD d'humour, qu'on a déjà cuisiné à toutes les sauces ou presque. Vivès parvient à l'assaisonner encore un peu plus, n'hésitant pas à piétiner les règles de bienséance et à épicer sa recette de petites touches sordides ou violentes. On s'amuse beaucoup et c'est tout ce qu'on demande, au fond.
Et si l'on a l'impression que tout cela ne lui demande aucun effort, c'est parce que son trait toujours juste, simple, coulant, semble s'étendre naturellement sur l'écran (puis sur la page, dans le livre), comme un croquis épuré, juste rehaussé ça et là d'une masse d'encre noire, probablement tracée à la tablette graphique. Et pourtant, tout est placé en un juste équilibre : les regards vides comme les corps encombrants, la petite voiture comme la cigarette qui fume. Et les phylactères avec l'écriture manuscrite, qui ajoute une couche de vraisemblance à ces dialogues bien tapés.
En conclusion, c'est drôle et bien foutu, ça se lit sans effort. On a qu'une exigence, du coup : que ça continue encore longtemps comme ça pour qu'on se régale encore.
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