Je voudrais m’attarder sur cette journée. Ou plutôt sur cette soirée : de ma conception qui donna lieu à cet abécédaire. De ce retour à l'ordre qui modifie mes paramètres temporels et qui m'invite à les enchevêtrer de la plus pure intention qui soit. La femme à mes côtés est partie dans les limbes. Un sommeil terrassant. Grand bien lui fasse ! Je ne suis plus dans l’univers qui m’entoure. Il est minuit et comme vous tous, je cherche l’idée. La grande illumination sur un concept non éculé maintes fois, par des pseudos scribouillards. Je ne les nomme pas et comme nous aspirons tous à plus de clairvoyance en la chose, il n'est pas sûr que de les nommer, il en ressurgisse un quelconque intérêt. Qu'importe! Je me mets en quête d’un geste culturellement simple, mais suffisamment marquant pour sortir d’une ère. D’une thèse.
D’un voyage en Corée du Sud modifiant mes repères et mes sens. Comment élaborer l’œuvre d’une vie ? Comment élaborer une œuvre ? Comment se raconter sans se la raconter ? Il faut recevoir tout d’abord un signal d’alarme : Un besoin irrépressible de communier avec ma patrie d’origine. Je suis en 2003. Plus précisément. Mes derniers élèves de la journée m’ont fait dire en plein cours, « Vous n’êtes pas Daryll Zanuck et pourtant, avec vous, j’ai l’impression de vivre mon jour le plus long ! ». Ils n’ont pas saisi la subtilité du moment ! Ok ! Je n’étais pas grossier, mais juste réaliste.
Toutes les minutes ont compté dans cette suite de moments datés, de minutes passées à leur faire entendre la douce mélopée du français fringuant. Il me manquait le geste patriotique dans la langue de Voltaire. Le roman. L’expression qui se passe de commentaires, mais se prête à lire. Sous l’emprise d’une envie incontrôlable, je vois en une fraction de seconde, mes dernières rencontres en sol Français. Je remonte le fil de l’histoire. Mon passé, mes aides, mes ennemis, et toutes sortes de mésaventures vécues. Le seul problème en fut la forme : Roman ?
La somme des personnages entrants, puis sortants me donnaient le tournis. Une nouvelle comédie humaine ? Pas assez de temps, de talent. Essai ? Il faut une problématique et un but à atteindre. Nouvelle ? Trop riches et trop éparses ces souvenirs. Je ne savais comment définir cette taxinomie dont seuls quelques auteurs, avaient risqué de s'y perdre. Il me faut un lien qui garderait près du cœur, la terre de ma croissance, les amis de fortunes et fortunés, les malentendus amoureux, le glauque parmi le gore. Eurêka ! L'abécédaire ! Mais c'est bien sûr ! Une structure, des règles, une vision tronquée, mais qui m'appartiendrait de toute façon.
Quelques remaniements avaient pris place dans mon esprit. Une table, deux chaises, l'humeur introspective au service de l'ancien et du moderne. La geisha, pour l’occasion, fut renvoyée chez elle dès le lendemain. Mes nuits se sont meublées d’un but en terre asiatique. Une superposition de tâches m'attendait. Lorsque les mots d'aujourd'hui caressent le papier, mon univers apparaît. Lorsque l’emprise sur un monde, que je ne peux pas effacer, surgit, je recroise ces gens délaissés sur le bord du chemin. Les plaidoyers intimes peuvent être aussi, de bons présages dorés. La portion congrue d'un éternel qui sera « reconquête » pour moi, un carnet de route pour celui qui s'y attardera.
Auteur :
Philippe Laguerre est enseignant en lettres dans le domaine professionnel. Doctorant en linguistique Française, sciences du langage à L'université Paul Valéry III de Montpellier. Lecteur en français dans l'enseignement à l'étranger, notamment par le biais de l'alliance Française en Corée du sud, il est animé aujourd'hui d'une envie de partager ses souvenirs propres par le biais de ceux qui les ont inspiré.