On vous en a offert un de plus. Vous avez souri et remercié la personne, mais voilà, non seulement la pile commence à atteindre des sommets et acquérir un aspect quelque peu menaçant, mais surtout, les livres s'entassent, immanquablement.
C'est un peu comme un problème kantien, une forme de distorsion morale, éthique et personnelle. On les aime pourtant ces livres, on les goûte, on les sent, on les touche, mais rien à faire, on n'a pas le temps.
Non pas qu'on ait réellement plus le temps, ou que l'on lise plus ailleurs, des médias autres... C'est un signe des temps, comme une pointe de fatalisme qui s'entasse sur le reste. On prétexte même que les talents sont moindres, que les bonnes plumes disparaissent, on avance un passé littéraire glorieux contre une sorte d'inconsistance contemporaine : tout devient motif à se plaindre, à pester.
Cependant, personne d'autre n'est à blâmer que soi-même. Car après 'Google m'a-t-il rendu stupide et dépendant ?' la question suivante est 'Internet me monopolise-t-il au point que je ne puisse plus ouvrir un livre ?'
Besoin de preuves ? Combien de temps avez-vous passé devant YouTube à regarder, hilare, des vidéos stériles ? Combien de mails envoyés qui ne nécessitaient pas de réponses ? Quelle quantité de liens cliqués ad nauseam pour parvenir à un constat simple : on n'a rien appris, mais le temps a défilé sans peine. Au bureau, le temps passe plus vite et chez soi, les heures deviennent des secondes, jusqu'au rappel fatal : « Chéri, on mange, ça va être froid... »
Internet a-t-il tué le livre ? Ce serait beaucoup affirmer. Mais le net nous a alourdis, et réclame un temps infini. Tout devient occasion à passer quelques minutes de plus... Le tourbillon n'est jamais loin. Et l'on se laisse si facilement prendre.