J'ai rencontré dans un petit salon de thé parisien comme on n'en fait plus. Un feu, un vrai, nous accueillait dans une ambiance feutrée. L'entretien pouvait commencer.
Christine Beigel ne se contente pas d'écrire (bien), elle est également directrice du département jeunesse de la jeune maison d'édition Après la lune (apreslalune.free.fr) depuis juin 2007. Au sein de cette structure, elle a créé un concept de roman qui n'existait pas encore sur le marché du livre de jeunesse : le roman-jeux. Pour le moment, deux titres au catalogue de la collection « Des vacances toute l'année » : Le cirque Pitouflard à Pétaouchnock (dont elle est l'auteur et illustré par Pierre Fouillet) et Bons baisers de la Galette-les-Bains (texte de Lilas Nord et illustré par Carole Chaix).
Le principe est simple mais il fallait y penser. À travers une histoire, le lecteur va rencontrer différents jeux (chiffres à relier, mots croisés, jeu des 7 erreurs, mots casés, dessins, coloriages) qui vont lui permettre d‘avancer dans le cours de son histoire. Et le concept fonctionne très bien, les élèves comme les professeurs sont heureux de pouvoir apprendre tout en s'amusant.
« C'est une belle expérience. Et surtout, cela me permet de faire des livres exactement comme je l'entends. Etre libre du début jusqu'à la fin. »
Christine Beigel reproche au secteur jeunesse français de ne pas savoir décloisonner les genres. Ainsi, le roman ne doit pas comporter de côté éducatif. Et inversement, si un ouvrage est considéré comme un livre-jeux ou un documentaire, il ne comprendra pas de fiction. Le fantastique ne doit être que fantastique, le livre d'aventures n'est que pure aventure, le polar doit respecter les codes du genre ou ne pas être.
« Pourquoi vouloir toujours faire rentrer les livres dans des cases ? Pourquoi ne pas mélanger les genres ? J'ai écrit un texte, La caresse du tigre et autres racontars (qui paraîtra prochainement) pour une collection d'aventures dirigée par Jocelyne Sauvard aux éditions Monde Global, et ce n'est pas exactement un texte d'aventures. Ou bien d'une aventure intérieure. Il y est question d'explorateurs, de relation grand-père / petit-fils, du monde, de la vie et… de la mort. Oui, là, l'aventure, c'est l'aventure de la vie. C'était ma façon d'aborder le genre. »
Christine Beigel a également une solide base de traductrice (anglais / espagnol) et c'est après des études de langues étrangères appliquées que sa belle aventure de publication à commencé.
« Le hasard des rencontres nous fait prendre un chemin particulier, et notre vie change » dit-elle. « Si je n'avais pas fait ce stage chez Syros jeunesse, par curiosité pour l'édition en règle générale, je ne serais certainement pas devenue auteur jeunesse, car je n'aurais jamais osé envoyer un manuscrit par la Poste. »
En 1995, Christine, en stage chez Syros Jeunesse, travaille sous la direction de l'éditrice de l'époque : Charlotte Ruffault. Un jour, elle lui parle d'un texte qu'elle a écrit et, même si elle lui refuse son manuscrit, lui passe une commande. Écrire une histoire sur les gâteaux qui sera publiée dans la défunte collection "Les petits carnets". 15 entrées différentes, 15 histoires et pour l'anecdote, 1 gâteau différent dégusté chaque jour pendant 15 jours pour la gourmande Christine, très heureuse de cette première expérience.
« Le premier livre, on s'en souviendra toujours. La magie de la découverte de l'objet, quand on l'ouvre, qu'on sent l'odeur des feuilles, qu'on tourne les pages avec ce sourire un peu idiot, le bonheur total, la fierté, bref… le premier, ce sera toujours le premier, il a une place particulière dans mon cœur. Merci Charlotte. »
Si Charlotte Ruffault quitte Syros quelques années plus tard, elle n'oublie pas le texte de Christine Beigel. Alors qu'elle travaille pour Hachette, elle demande à sa jeune protégée de lui écrire quelques chapitres pour son nouveau poste en tant que directrice de la collection poche. L'essai est concluant et c'est ainsi que Christine publie son roman : Le conte du Châtard.
C'est chez Magnard que Christine Beigel va travailler avec l'illustratrice Rébecca Dautremer (qui, en 2004, n'avait pas encore sa renommée actuelle) pour Je suis petite mais mon arbre est grand. Plus tard, et de fil en aiguille, elle rencontre Brigitte Leblanc, directrice littéraire chez Gautier-Languereau.
« Une très belle rencontre. Je le répète, l'édition est faite de rencontres. »
Au feu les pompiers, j'ai le cœur qui brûle, illustré par Elise Mansot (texte paru ce mois de février 2008).
Un album aux teintes tendres, harmonieuses, contrastées. On peut y voir des influences de Chagall et de Bonard. L'histoire est celle d'une dame âgée, seule avec son chat et qui tombe amoureuse d'un pompier. Nous sommes en été, le soleil chauffe, chauffe. La canicule s'installe, mais personne ne vient visiter la vieille dame qui lentement dépérit d'amour et de déshydratation. Heureusement le pompier sera là pour la sauver et refroidir son cœur se consumant d'amour.
Christine n'hésite pas à donner son point de vue sur les illustrateurs ainsi que sur les corrections que certains éditeurs peuvent lui demander sur ses textes. Ce qui lui évite bien des déceptions et lui permet de défendre « bec et ongle » son livre une fois celui-ci publié.
Ce fut le cas pour deux ouvrages aux thèmes très forts et qui interrogent forcément le lecteur :
Piste noire, paru en 2006 chez Syros et J'ai la haime, qui sortira en avril 2008 dans la nouvelle collection jeunesse chez Belin.
Christine Beigel a envoyé Piste noire à deux éditeurs et c'est François Guerif, célèbre éditeur chez Rivages noir et directeur de la collection « Rat noir » chez Syros qui, quelques mois plus tard, accepte ce manuscrit où il est question du viol d'une jeune fille. L'auteur parvient a montrer comment cet acte barbare n'était au départ qu'une simple rencontre due au hasard dans un train de nuit. Les assassins n'ont pas de « profil type », la jeune fille est plutôt bien dans sa peau. Rien ne laisse présager du pire. Christine Beigel, contrairement à d'autres ouvrages sur le même thème, a décidé de donner la voix aux violeurs, ce qui renforce l'intensité du récit et donne à réfléchir sur le pourquoi des actes violents.
« Ce qui m'intéresse, c'est de comprendre, du moins tenter de comprendre comment des jeunes peuvent en arriver là. »
« On a tendance à vouloir retenir les adolescents dans un cocon, dans l'enfance, à les préserver de la réalité, de la société, alors qu'eux veulent s'émanciper, devenir adultes, intégrer cette même société. Et je pense que les adultes oublient trop vite qu'ils ont été adolescents et qu'ils sont passés par là. Où est le dialogue ? Notamment, le dialogue entre les générations ? Je constate qu'aujourd'hui, au vingt-et-unième siècle, on a encore peur des mots, beaucoup plus que des images. Pourquoi ? C'est aussi et avant tout par les mots que les jeunes grandissent, grâce aux mots. J'écris pour donner envie de discuter, de partager, des idées, des sentiments, des émotions, ce qui est beau et ce qui est moche, tout. Et que le lecteur aime ou déteste mes livres, je m'en fiche un peu dans le fond, mais qu'il réagisse, se pose des questions, ça oui, j'y tiens, et qu'il s'exprime à son tour, mille fois oui. Les livres sont faits pour ça, pour interroger, toucher, révolter, faire pleurer, faire rire. »
Pour J'ai la haime, autre sujet glissant : la famille. Le roman paraîtra en avril prochain dans la collection "Charivari". Le principe de cette nouvelle collection est assez original. Sur une idée reçue d'adolescents, les auteurs doivent écrire un texte. Christine, qui sera contactée par l'éditrice Nicole Czechowski, propose de parler de la famille à partir de l'idée reçue suivante : « Les parents sont tous des gros nazes, les ados sont en rébellion et les parents sont vite dépassés. » Christine n'aura que deux mois pour écrire ce texte. Elle va vivre tout en réfléchissant pendant un mois à la façon dont elle pourra aborder ce sujet délicat sans heurter les uns et les autres, et au style qui conviendra le mieux. Un roman noir ? Pas sûr. D'où le mois de réflexion. Et d'angoisse, car le temps passe. C'est l'humour qui s'imposera, contre toute attente. Le deuxième mois sera donc consacré à l'écriture. Une écriture éclatée, comme un kaléidoscope, des portraits de famille où chaque texte est consacré à un personnage.
« Il y a bien sûr une histoire linéaire, mais elle est racontée en petits tableaux consécutifs, des tableaux de famille. La haime est pour moi l'état dans lequel l'adolescent erre, entre haine et quête d'amour. Dans J'ai la haime, l'humour est assez grinçant, j'ai voulu montrer des ados paumés dans leurs idées, dans leurs familles, mais toujours touchants même quand ils paraissent ridicules. Tout dépend du rapport que l'on a avec sa propre famille. Et ce livre s'adresse aussi bien aux ados qu'à leurs parents. Car on n'a jamais fini avec la famille. »
C'est sur ces bases littéraires et ludiques qu'elle anime des ateliers d'écritures pour les enfants et leur permet de dédramatiser l'approche de la langue, du dictionnaire et de la création.
Le temps a passé, les bûches se sont consumées dans l'âtre de la cheminée, notre thé est froid. Quelques raisins secs ont échappé à notre gourmandise. Nous nous quittons ainsi, après trois heures de discussion…
Magali Turquin
Blog de Christine Beigel : http://ellecause.hautetfort.com/