est une jeune travailleuse sociale. Pendant dix-huit mois, elle a reçu dans son bureau d'un centre d'accueil parisien des jeunes exilés isolés arrivés en France et recueilli leurs témoignages. A travers ce livre, elle raconte cette expérience avec une justesse saisissante, une sobriété remarquable.
"Tous ont laissé un peu d'eux-mêmes sur mon bureau. Moi aussi, j'y ai laissé un peu de moi-même".
Sans violence, sans intention politique mais avec une sincérité et une sensibilité très personnelles, elle raconte d'un côté l'enfer, les parcours de vie chaotiques, l'horreur et le désespoir d'existences meurtries à jamais et de l'autre, elle se confronte à elle-même, à ses propres interrogations et doutes, exprime sa culpabilité, sa douleur et sa tristesse, son malaise aussi parfois, sa lassitude ou le détachement nécessaire qui la préserve, la fait tenir (un moment).
De ses difficultés quotidiennes à concilier sans heurt son métier et sa vie propre, de son désenchantement face à une administration qui a perdu son humanité, de ses moments d'espoirs, de ses joies aussi, elle n'omet rien ou presque, précise et lucide.
Le récit pénètre alors le lecteur sans distance, intelligent et bouleversant à la fois. Aussi explicite qu'instructif, jamais réducteur ni misérabiliste, il éclaire sur les conditions d'accueil des migrants, le fonctionnement parfois absurde d'un système défaillant et exalte, plus que tout, la force vitale de ces jeunes aux destins brisés avant même de devenir adultes.
En une alternance de courts chapitres où l'on s'empare de bribes de vies ballotées, torturées, éprouvées, où l'effroyable n'a pas d'autres limites que la mort violente, se dessinent également les différentes étapes incontournables qu'un jeune mineur isolé doit suivre pour espérer rester sur le sol français, recevoir une éducation, bénéficier d'un hébergement et s'insérer dans la société. Des étapes souvent compliquées, parfois indignes d'une politique d'aide sociale à l'enfance. Elles deviennent alors un autre combat. Aussi vif et qui met à mal notre devoir de solidarité.
Avec une objectivité convaincante, Rozenn Le Berre, révèle les incohérences de l'administration où, par exemple, on laisse des enfants isolés dormir dehors, faute de place, et, parce qu'ils sont mineurs, l'accès au service d'urgence du 115 ne leur ai pas réservé non plus. Où, l'espace d'un moment même, ils ne sont ni mineurs ni majeurs ("mijeurs, disent certains"), dans l'attente de l'évaluation sociale qui déterminera ou non leur statut de mineur isolé. Elle révèle également comment les travailleurs sociaux n'ont parfois pas d'autres choix que d'enfreindre la loi et persuade sans insistance, qu'un migrant, forcément vulnérable doit être accueilli et protégé. Légitime incontestablement.
Une écriture fluide et proche, sans ambages. Jamais agressive, intensément sincère et délicate. Le lecteur ne peut qu'écouter et entendre ces voix fragiles, se sentir happé, interpellé, concerné. L'indifférence n'est plus de mise.
Une pièce de théâtre adaptée de ce livre est en cours de création avec la compagnie 13R3P (Lille).