Après l'Islande et l'Atlantique Nord, () remonte de nouveau l'histoire avec ce récit de voyages et entraîne cette fois-ci le lecteur au cœur des grandes expéditions maritimes du XVIème siècle qui révélèrent de nouveaux continents aux Européens. S'inspirant d'un contexte historique précis (relaté en fin d'ouvrage), de personnages ayant bien existé, il libère son imagination de conteur sans jamais dépasser ce cadre réaliste et raconte, avec passion et intérêt, les aventures de João Faras, juif converti au christianisme, chirurgien et cosmographe, embarqué depuis Lisbonne sur l'armada de Pedro Alvares Cabral à destination de Sofala (Mozambique) pour y implanter un comptoir.
Sans empeser son récit de connaissances encyclopédiques sur ces grands voyages d'exploration, de découvertes et de conquêtes, l'auteur raconte les conditions de vie terribles à bord des navires, la maladie, le mal de mer, les tempêtes, la faim, la peur de l'inconnu, de l'égarement, l'éloignement des siens, la solitude, les dangers, et confère au personnage principal, une attitude loin d'être héroïque. « Lorsqu'en mer j'étais forcé à une telle proximité avec l'intimité nauséabonde de mes camarades, cela me faisait vomir. Voilà pourquoi […] je rechignais à assumer ma charge. »
Eloigné ainsi du personnage courageux et téméraire comme ont pu l'être les capitaines de ces navires, Faras, loin d'avoir toute la sympathie du lecteur, l'accapare pourtant. Ce dernier est avide de découvrir ces terres nouvelles, de comprendre comment un petit pays comme le Portugal dominait alors une partie du nouveau monde. «Les Grecs et les Latins osaient à peine sortir de la Méditerranée. Nous autres, Portugais, on en connaît dix fois plus qu'eux, et c'est pas fini, tu le sais bien. On en a plus appris en quelques décennies que les Anciens en un millénaire. »
Il est curieux de sentir à son tour, l'excitation des nouvelles terres, comme le Brésil (« cette terre de Vera Cruz, que vous aviez pris pour une simple île, eh bien non seulement c'est une véritable terre ferme, mais je suis persuadé qu'il s'agit d'un monde jamais reconnu jusqu'alors, un monde qui n'a rien à voir avec ce qu'ont décrit les Anciens ou Marco Polo. Oui un nouveau monde. » Il s'émerveille devant les peuples découverts, les nouvelles voies maritimes, les moyens techniques mis en œuvre à l'époque pour cartographier, dessiner le monde en cours, en s'inspirant des textes des anciens.
15 mois de navigation, concentrés sur un chapitre, qui bouleversent un homme, l'atteignent au plus profond de son être, affaibli par les difficiles conditions de navigation, terrorisé par les violences morales et physiques qu'il a fallu surmonter sans pouvoir jamais les oublier. Faras est un homme traumatisé à jamais lorsqu'il rentre à Lisbonne, sujet à des « cauchemars, insomnies, images accablantes qui surgissaient d'un passé auquel [il] essayait pourtant d'éviter de penser ». De plus il est en disgrâce auprès du roi et incapable de reprendre la mer, condamné à exercer son métier initial (médecin) sans grande compétence ni empathie envers ses patients. Reprendre une vie à terre est une épreuve, le rend terne et aigri. Sa femme a changé et la taverne devient son refuge jusqu'à ce qu'un curieux commanditaire italien lui propose de voler une copie de la carte royale, le Padrão Real, celle qui consigne toutes les découvertes territoriales, dresse l'inventaire d'un monde qui se découvre, « l'un des documents les mieux gardés du royaume ».
Une intrigue brève, assez vite résolue qui ne vaut que par l'ambiance de la ville dans laquelle elle se raconte, à la fois animée, colorée, picaresque même, qui fait appel à tous les sens (l'activité au bord du Tage, les vendeuses de poisson, les marchands ambulants, l'animation autour de l'estuaire, les marchandises exotiques, les sonorités, les odeurs puissantes). Très instructive, ponctuée de faits historiques précis également lorsque l'auteur relate le sort tragique des Juifs à cette époque et des nouveaux chrétiens, leur persécution notamment (« Hérésie ! Hérésie ! Détruisez ce peuple abominable ! […] Et là ce fut épouvantable. On enfonçait les portes, on déculottait les hommes. S'ils étaient circoncis, c'en était fini d'eux et de leur famille. » ») ; lorsqu'il évoque avec enthousiasme et une fascination contagieuse le séisme ou la peste qui firent fuir de Lisbonne le roi et une partie de la noblesse.
L'ensemble se lit sans difficultés tant le style est fluide et agréable, reste convaincant même si les autres personnages manquent un peu d'étoffe et de profondeur. A l'exception de Faras, tous restent assez flous, secondaires pour vraiment retenir l'attention du lecteur et paraissent parfois, de ce fait, empreints d'une certaine naïveté, sans personnalité affirmée. D'ailleurs les dialogues en témoignent, s'imprègnent d'une tonalité moins éloquente, n'ont pas la vitalité du récit.
Aussi toute la difficulté (relative) est alors de pouvoir s'attacher à eux puisque Faras, brumeux et austère n'est pas non plus toujours très enclin à faciliter la complaisance du lecteur. Il n'empêche, cette histoire demeure pleine d'intérêt par ailleurs, est une réelle invitation au voyage, un éveil à notre curiosité. C'est évident, ce roman est un enchantement, ouvre l'appétit pour aller plus loin et continuer à naviguer sur ces mers lointaines.
Bruno d'Halluin sera présent au festival "Etonnants voyageurs" de Saint-Malo du 07 au 09 juin.
A noter également la très belle couverture recto-verso du roman, illustrée par Mora Pantrini et Anne Bordenave.