Loin des expéditions scientifiques parfois austères ou périlleuses des explorateurs, très loin du défi sportif également mais sans doute plus proche du récent film sympathique de , (Le voyage au Groenland), ce récit en territoire arctique de Julien Blanc-Gras raconte une expérience humaine insolite, empreinte de fraîcheur, d’humour et de sincérité.
Sans intention héroïque ni esprit de conquête, l’auteur livre ses impressions du Groenland, à la fois intimes et parcellaires, avec une spontanéité réjouissante et une justesse de ton dont le lecteur s’empare aussitôt.
Curieux et enthousiaste, ce dernier n’a aucune difficulté alors à s’imprégner du récit, à prendre part lui-même au voyage, accessible et sans prétention. Presque démythifié mais quand même beau. « Je n’ai pas foulé la banquise […] Je n’ai pas touché la calotte polaire […] Je n’ai pas vu d’igloo. Je n’ai pas pu observer d’ours. »
Accueilli par l’intermédiaire de son éditeur sur un voilier idéal, l’Akta, appartenant à un propriétaire aventurier fortuné « qui a tout misé pour en faire une résidence artistique itinérante », l’auteur, en compagnie d’un artiste peintre, Gildas Flahault et de deux navigateurs bretons, va naviguer près des côtes dans la baie de Disko, et s’immerger une poignée de semaines dans des paysages polaires grandioses, « embrasser le réel sans l’intermédiaire d’un écran. »
« Le dictionnaire, incapable de rendre compte d’un choc esthétique […] Pauvreté de la langue française en milieu polaire »
De ce voyage, il dépeint sa surprise, reconnaît manquer de mots pour décrire son émerveillement face aux icebergs, « de l’eau douce et du mystère », devant la calotte polaire ou les aurores boréales mais parvient, l’air de rien et simplement, à captiver l’intérêt du lecteur.
Sans parti pris contemplatif ou poétique, Julien Blanc-Gras laisse plutôt éclater sa grande sociabilité, sa soif de rencontres, et s’emploie à communiquer autour des (rares) habitants qu’il rencontre, autour des liens qui se nouent avec l’équipage.
Un texte vif et toujours nuancé qu’il enrichit, sans lourdeur, de références littéraires d’aventuriers polaires (Nicolas Dubreuil, Jean Malaurie ou Jack London) et qui permettent au lecteur curieux de prolonger le voyage.
Si ce court séjour estival (touristique) n’a pas pour objectif et pour ambition de mettre au premier plan tous les enjeux environnementaux et sociétaux actuels de cette région, il s’en fait néanmoins l’écho. Par bribes, au fur et à mesure que le voilier longe la côte ouest du Groenland, Julien Blanc-Gras observe la vie ordinaire (mais ne juge pas).
« Ils ont délaissé leurs kayaks et leurs traîneaux. Leur culture disparaît. »
Le déferlement de touristes à Ilulissat, Les barres de logements grises en béton à Nuuk, la jeunesse qui souffre d’ennui plus que du froid, la pollution océanique qui rend les baleines impropres à la consommation, le changement climatique perçu ici davantage comme une opportunité plutôt que comme une inquiétude, les gisements de minerais et le développement des compagnies minières qui pourraient, à terme, permettre à l’île de devenir un pays à part entière, affranchi de la tutelle financière danoise...
Une évocation de transformations rapides qui interpellent le lecteur, l’invitent clairement à aller plus loin, le confrontent à des préoccupations finalement moins lointaines qu’il n’y paraît mais jamais ne l’éloigne (et c’est tant mieux !) de l’étonnement et du plaisir du récit de voyage.
Eveilleur de conscience, éveilleur de rêve également, “Briser la glace” entre assurément dans la catégorie “tourisme responsable” ; idéal si vous n’êtes ni explorateur aguerri, ni sportif de l’extrême. Plutôt de type voyageur ordinaire, quoi !
Et pour compléter cette lecture, n’hésitez pas à vous procurer (chez le même éditeur) le livre réalisé par le peintre Gildas Flahaut, « Le bal des glaces », inspiré du même voyage que celui de Julien Blanc-Gras.