Ben Arès est l'auteur aux Éditions de la Différence de deux recueils de poésie, Rien à perdre, paru en 2007, Cœur à rebours, en 2009 et d'un roman, Ne pas digérer, en 2008. Parti à Madagascar à la recherche d'un enfant qu'il avait adopté et qui mourut en Belgique où il résidait avec lui, il nous fait part de la situation financière déplorable de l'état de l'enseignement dans ce pays et du désengagement de la France.
Toliara, capitale du Sud de Madagascar – où le pourcentage de la population vivant avec moins de un euro par jour s'élève à 68% – est vouée à l'on ne sait plus quel saint. Les usines ne tournent plus. Les hôtels et restaurants sont déserts. Les Etrangers, de plus en plus rares, qui y résident, et « sévissent », de préférence au bord de mer, sont pour la plupart des retraités, fiers de leurs charmes et de leurs « gains ». Et puis, il y a les écoles ; et parmi elles, Le Collège Français, un des 480 établissements de l'AEFE dans le monde qui prône – le prix des écolages aidant – un enseignement de qualité ! La lettre ouverte qui suit témoigne de la logique éducative d'une « multinationale » qui n'a pas peur des maux…
Toliara, le 9 avril 2013,
Madame La Directrice de l'(gence de l'nseignement du rançais à l'tranger),
Monsieur Le Conseiller de Coopération et d'Actions Culturelles,
Monsieur Le Coordonnateur AEFE-REFM,
Monsieur Le Président de l'APE (Association des Parents d'Elèves) du Collège français de Toliara,
Monsieur Le Principal du Collège français de Toliara,
Un autre cyclone nous tombe dessus à Toliara, au Collège Etienne de Flacourt ! On a décidé tout simplement de réviser les exonérations des écolages des enfants des personnels en contrats locaux. Pour rappel, deux types de « contrats locaux » existent :
ceux avec diplômes malgaches (majoritaires).
ceux avec diplômes français.
Les salaires varient selon les « catégories » et selon l'ancienneté. Il y aussi, bien sûr, les personnels ATOS (Agents Techniques et Ouvriers de Service) et les personnels en « contrat de résidant ou d'expatrié ».
Le système des calculs de ces salaires est incohérent, est ainsi fait, et conduit à toutes sortes de justifications honnêtes ou injustes. Mais citons quelques chiffres en ariary convertis en euros (au taux approximatif de 3000 ariary pour un euro) :
de 170000 ariary, soit 60 euros par mois (le plus bas) à 24 millions d'ariary, soit 8000 euros* par mois (le plus haut)
de 464000 ariary, soit 155 euros par mois à 2100000 ariary, soit 700 euros par mois (quatre cas, à peine, entre 450 et 700 euros) entre les différents « contrats locaux ».
La moyenne de ces derniers s'élève grosso modo à 250 euros par mois.
Le taux de l'exonération était depuis plusieurs années à 90%, proposé jadis par « la direction » et le comité de gestion pour motiver l'engagement des parents enseignants. Et ce taux vient finalement d'être fixé très sèchement à 30% le lundi 25 mars (par la majorité au conseil de gestion) pour la rentrée 2013 !
En phase de négociation, nous n'avons trouvé aucun arrangement, le « gouffre » entre les taux proposés par les deux parties étant trop conséquent ! Nous serions donc forcés de payer, dès septembre, en moyenne et par enfant, environ 350000 ariary par mois, soit près de 115euros. Notons aussi qu'au Collège, 24 élèves sont touchés des toutes petites sections à la troisième. Dit autrement, 16 parents d'élèves sont concernés ! Et concrètement, cela signifie désormais que nous n'aurions plus les moyens – à l'une ou l'autre exception près – de réinscrire nos enfants au sein de l'établissement où nous enseignons !
Les raisons ? Il s'agissait « d'équilibrer le budget » et dans un premier temps, de revoir ces « avantages qui n'étaient pas des acquis », dans l'intérêt de la subsistance de « l'entreprise » ! Sans cette première révision, ce ne serait plus tenable, au vu du contexte politique, économique désastreux dans lequel nous nous trouvons à Toliara, au vu du nombre d'effectifs en forte baisse depuis trois ans (80 enfants en moins) et du nombre minimal de boursiers. En quelques mots : le Collège n'est plus rentable !
Depuis le 11 mars 2013, durant près de deux semaines, des réactions humaines, avec tous les états d'âmes imaginables ont déferlé. Le 25 mars, l'épée de Damoclès est malgré tout tombée ! Les conséquences que ces directives entraînent sont lourdes : l'avenir de nos enfants est frappé puisque ces derniers se voient exclus à jamais de recevoir une instruction sans commune mesure avec celles données dans d'autres établissements de la ville ; eux et nous ne pourrons plus jouir non plus des mêmes périodes de vacances ; notre disponibilité et notre « productivité à venir » seront remises en cause, pour des raisons morales et pratiques !
Bien sûr, pour justifier cette « révision », on a cherché des arguments !
Il nous a été dit que nous subissions les frais des « erreurs de jugements et de gestions du passé ». Et nous avons répondu que nous n'avions pas à être les bouc-émissaires de ces soi-disant bévues.
On a tenté aussi de nous museler en nous rappelant que nous n'avons pas à nous plaindre, vu que notre salaire est bien supérieur à celui d'un enseignant d'un autre établissement. Et nous avons rétorqué que cette remarque est juste en théorie, mais qu'elle est fausse dans la réalité puisqu'un enseignant d'un autre établissement n'est nullement soumis aux mêmes exigences et qu'il est tout à fait en situation de se permettre le cumul de plusieurs revenus, chose pratiquement impossible pour nous, qui ne lésinons pas à faire des heures supplémentaires non rémunérées pour répondre à la demande d'un « enseignement de qualité » !
On a tenté volontairement ou involontairement de semer la zizanie entre les différents types de contrats. En d'autres mots, on a tenté de « diviser pour régner ». C'est que nous sommes aussi tenus, nous l'ensemble des personnels, d'anticiper, de réfléchir aux répartitions des heures de cours de l'année prochaine, à l'une ou l'autre fermeture d'un poste de résident, d'envisager la possibilité plus que probable de fermer des classes… de faire sauter des postes ! Mais au final, il nous a été dit qu'aucune intention de fermer l'établissement dans l'avenir n'était entrevue actuellement, qu'il fallait juste « serrer la ceinture », « assainir » pour « sauver l'embarcation » !
Il nous a été dit aussi « de cesser de penser à nos enfants », qu'il était nécessaire de « pérenniser le Collège ». Pérenniser qui ? Pérenniser quoi ?… En définitive, nous nous sommes dits tout à fait légitimement, que ce ne serait plus seulement une question de chiffres cette révision de l'exonération mais une question de principe ou de politique, en vue de mettre en état de fonctionnement la mécanique de la destruction !
Mais ne nous égarons-pas ! Et abordons dès à présent l'essentiel, jamais mentionné depuis le mardi 11 mars 2013 ! A côté des chiffres et de l'humain, au cœur de cette façon vieille comme le monde de « trancher dans les vaches maigres » nous, les « contrats locaux », souhaiterions soulever d'autres questions :
Madagascar, certes, traverse une période douloureuse. L'Etat est sens dessus dessous « depuis depuis », comme on dit ici ! Nous n'allons pas vous donner un cours d'histoire ! Nous n'allons pas reparler de 1947, de 1960, 1971 et des erreurs qui ont suivi ! Mais qu'on ne se méprenne pas ! Les responsables de cette déconfiture ne sont pas au sein du Collège Etienne de Flacourt ! Nous ne pouvons accepter d'être pris entre le marteau (le réel du pays) et l'enclume (le réel de l'AEFE ou de la France). Nous refusons en bloc d'être victimes. Nous avons de la valeur ! Cela compte tout de même !
On nous fournit de superbes manuels avec des pages illustrées sur la littérature engagée, des Lumières, du XIX° et XX°, des pages sur des critiques de la Révolution industrielle, les colonies, la mondialisation et la délocalisation, le développement durable, les inégalités entre les pays développés et les pays les moins avancés trop souvent redevables d'une dette morale et financière, des pages sur l'éducation civique basée sur les valeurs françaises (un modèle ?!) de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme ! Si nous transmettons ces notions et valeurs et qu'on y croit, sans pour autant verser dans le prosélytisme, comment peut-on agir de la sorte ?! Quelles sont réellement les valeurs que défendrait l'AEFE ? Quelle crédibilité ? Allons-y de go : utilise-t-on en réalité les meilleurs moyens de « soigner » l'image de marque de « l'entreprise » ? Et puis on s'étonnerait encore que les élites du Pays qu'on aurait formées manipulent à tour de bras, ne suivent que « le modèle » qu'on leur aurait transmis sans le vouloir ? Et puis on s'étonnerait encore que la situation actuelle engendre des besoins, des abus et dérives sur l'Ile de tant de maux dont « la vieille République », une nouvelle fois, se laverait les mains ? Vous parlez d'un enseignement !
Au-delà de nos 24 enfants, qui sont, avec les rares non-boursiers, les « têtes de classe » de notre établissement, nous, les personnes concernées, soutenues par l'ensemble du personnel (autres contrats locaux non concernés, agents et titulaires) pensons bien sûr aux autres élèves scolarisés ! Nous pensons bien sûr à toutes ces victimes innocentes qui épongent les dysfonctionnements d'une « entreprise » ! Et nous jugeons que c'est malheureux - un euphémisme ! - d'en arriver là pour des questions budgétaires ou « d'assainissement » qui se trament en hauts-lieux et qui nous éloignent de la fonction première d'éduquer ! Qu'on ne nous fasse pas porter le chapeau ! Ces dernières directives, si elles sont appliquées, véhiculeront « une image dégradante » des écoles françaises à Madagascar, qu'on le veuille ou non ! Et ce n'est pas ce que nous voulons !
Devant l'impossibilité pour nous d'accepter un autre compromis que celui proposé à l'APE sous le couvert du Principal (aux taux échelonnés à 90%, 85% et 70% en fonction des revenus et du nombre d'enfants par foyer), dans l'attente d'une réelle solution ou d'une autre proposition, dans l'attente d'une réflexion plus profonde ou d'une réponse digne de la Pensée, nous nous mobilisons ce 9 avril 2013 au nom de nos enfants, de tous les enfants, au nom des valeurs humaines, des valeurs intellectuelles pour lesquelles nous nous battons.
Les personnels grévistes
(30 personnes : 19 recrutés locaux, 4 vacataires, 6 en contrat de résident et 1 en contrat d'expatriée)
* De source sûre, le montant du Principal est plus élevé encore mais nous n'avons pas une idée précise du montant. Ça ne manque pas de sens et justifie dignement l'exécution des ordres et des sales besognes !