Un livre sur les femmes, écrit par une femme, sans doute à destination des femmes, quoi que ? Il y a tant d'universalité dans ce roman, tant de sensibilité, de lucidité et d'intelligence, de justesse dans l'expression des sentiments qu'un homme doit pouvoir s'y retrouver, s'y parfaire même peut être.
L'histoire se passe en Suède, dans la commune de Sandviken, au nord de Stockholm, au pied du mont Kunsberg. La guerre menace, sourde, plombe l'atmosphère, alourdit les peines, durcit l'existence.
Dans la grisaille, le vent glacial, se dresse une famille de cinq enfants que l'on va suivre pendant deux décennies à travers le regard des femmes. Elles sont trois sœurs, trois jeunes femmes vers qui l'auteur s'attarde en premier puis se tourne vers leur mère, leur belle sœur, leur nièce, l'amie ; sorte de roman polyphonique où les voix alternent, sans jamais se confondre, offrent au lecteur différents points de vue qui traduisent toute la complexité de la vie.
Récit tout en nuances, parfois elliptique, jamais lisse qui s'attache aux détails, à ces grains de sable, si ténus, mais capables de bouleverser l'équilibre d'une vie, de rompre l'harmonie, créer une discordance, beaucoup de regrets et de désillusions.
Aina, la mère, soumise à un mari buveur, Karin, Sofia, Émilia, les trois sœurs de la famille Steen, Barbara, la belle-sœur, Lillemor, la nièce et Irma, l'amie et collègue de travail, autant de figures de femmes qui prennent la parole dans ce livre, racontent leur vie, leur enfance, leurs tourments, leur couple, leur mariage, leurs maternités, leur solitude aussi. Et l'amour. « L'amour n'est une garantie ni de bonheur ni de durée […] Le devoir des conjoints, c'est de se faciliter mutuellement la vie. »
Il y a d'abord Karin, la sœur pleine de vie, souriante, drôle et gaie, héroïque même lorsqu'elle met au monde sa seule enfant, Lillemor puis laisse Sofia, sa plus proche sœur, dans un désarroi sans nom. Sofia, qui, à son tour deviendra mère sans bonheur, avec épreuve (« Tiens bon jusqu'au bout Sofia. Tu n'as pas le choix ») comme si cela était sa destinée.
Et Émilia, qui rêve de liberté lorsqu'elle enfourche son vélo, mais ne pense plus au mariage à 25 ans, déjà trop vieux. Des femmes qui semblent aborder la vie comme une fatalité, un non choix. Résignées, presque condamnées, mais conscientes de passer à côté de leur propre vie. Et pourtant, elles éblouissent le lecteur dans leurs engagements, leur force et leur résistance face aux blessures et douleurs qui les accompagnent. Laissant ainsi peu de place aux deux frères, Edwin et Otto.
Toutes ces femmes qui en s'unissant, s'emprisonnent, s'avilissent même parfois, perdent, au fil des années, illusions et rêves, conservent pourtant une dignité et une beauté, quel que soit leur rôle (femme, épouse ou mère) et expriment avec la plus grande justesse, une attention aux détails et beaucoup de mélancolie, leur destinée souvent amère, peu heureuse au final mais assumée.
« Nos récits s'entrelacent telles les bandes de lirette dans la trame d'un tapis. Et chacun y reste pris. Jusqu'à l'usure. En devient partie intégrante ».
La pluralité des narratrices offre au roman une diversité de tons impressionnante, un rythme magnifique, réellement expressif des sentiments et des sensations à fleur de peau. Le lecteur a vraiment l'impression d'entendre plusieurs voix, d'être dans plusieurs livres, de partager plusieurs vies.
De s'immiscer dans cette famille, de vivre avec dureté ces liens inextricables, et d'y déceler cette discordance, pourtant presque imperceptible du dehors.